La France n’a pas de pétrole, mais elle a de la générosité : c’est une énergie

Valeurs actuelles a réuni les responsables de huit associations qui œuvrent pour des défis oubliés : l'éducation et la formation de la jeunesse, la famille et la dignité de la vie, la santé et les services publics à refonder, la défense des chrétiens, un héritage en péril. Ils appellent à investir dans l'avenir.

Valeurs actuelles. Rarement la France a traversé une période d’incertitudes aussi grandes. Vos associations en paient-elles le prix ?

Benoît Perrin Directeur de Contribuables associés

​Les Français sont généreux par nature et prêts à soutenir les associations quand elles répondent à un vrai besoin. Le problème ? Ils paient trop d’impôts et manquent de marge de manœuvre. C’est structurel. Mais il y a aussi deux facteurs conjoncturels : en période d’incertitude, on protège d’abord les siens – famille, proches, amis. Et face à l’explosion de la dette publique et aux déficits chroniques, les Français épargnent.

Patrick Pilcer Président Président de Vaincre le cancer

​L’hystérie fiscale effraie tout le monde. Nous n’en voyons pas encore les conséquences en 2025 – nos donateurs répondent toujours présents -, mais l’année 2026 s’annonce plus délicate peut-être, incertaine sûrement. La France n’a pas de pétrole, mais elle a de la générosité : c’est une énergie. Le climat actuel joue les coupe-circuits et cette énergie risque de ne plus circuler dans la société. Nos politiques doivent réparer le circuit d’alimentation, alors la générosité se diffusera à nouveau.

Les associations prennent de plus en plus le relais des pouvoirs publics. En quoi êtes-vous le relais d’un système qui ne fonctionne plus ?

Michel Valadier Directeur général de la Fondation pour l’école

​La baisse démographique a entraîné 100 000 élèves de moins cette année et 5 500 fermetures de classes dans le public et le privé sous contrat. Dans le même temps, les 2 600 écoles hors contrat ont ouvert 400 classes. Pourquoi les parents se tournent-ils vers les écoles libres alors que les frais de scolarité y sont parfois élevés ? Parce qu’ils savent que leurs enfants y seront en sécurité, qu’ils seront correctement formés et préparés à devenir des adultes responsables. Ceux qui soutiennent ces initiatives font œuvre utile et permettent en même temps l’émergence d’une source d’inspiration pour réformer l’école publique.

Marine de Poncins Secrétaire générale du Syndicat de la famille

​Le Syndicat de la famille fait plus que prendre le relais puisque nos dirigeants ne font que déconstruire la famille tous azimuts. Or, quand elle ne tient plus, tout va mal : l’engagement, la natalité, l’éducation, la solidarité… C’est pourquoi notre action est double : nous luttons contre cette idéologie, mais nous portons aussi une vision et des propositions bénéfiques.

Antoine d’Arras Directeur général de la Fondation Un Avenir ensemble

​Depuis 2008, notre fondation travaille en lien étroit avec l’Éducation nationale au sein de 750 lycées publics et privés, tant en enseignement général que technologique et professionnel. Les équipes éducatives repèrent des jeunes boursiers, motivés, méritants et curieux, passés sous les radars du système. Issus de l’immigration ou de milieux sociaux précaires, ils ignorent leur potentiel. Les proviseurs nous les confient. Nous intervenons alors en complément du système éducatif, non pas pour le remplacer mais pour l’enrichir d’un lien humain durable. Chaque jeune est accompagné par un parrain ou une marraine décoré(e) de la nation, qui lui transmet des repères, de la confiance et l’aide à se projeter dans sa future vie professionnelle.

Benjamin Blanchard Directeur général de SOS Chrétiens d’Orient

​L’impéritie des dépenses publiques saute aux yeux, qu’il s’agisse d’aide au développement – avec des gaspillages massifs récemment dénoncés par Sarah Knafo – ou d’aide d’urgence. Nous faisons beaucoup mieux que l’État avec plus de résultats. En Syrie, pendant dix ans de guerre, nous avons assuré des cours de français alors qu’il n’y avait plus aucune action de la Francophonie. Je remarque aussi que les dispositifs de grande urgence bénéficient souvent aux immigrés. Il serait intéressant d’ouvrir ce dispositif à ceux qui aident les gens en difficulté à ne pas immigrer.

Caroline van Pradelles Responsable développement des ressources de l’Aide à l’Église en détresse

​L’État ne peut pas vivre sans les associations, en France comme à l’international. Nous agissons dans près de 140 pays, de manière équilibrée. En Afrique, nous aidons l’Église qui soutient les communautés chrétiennes alors que certains pays sahéliens font face à une vague très inquiétante d’attaques djihadistes. Ce qui se passe au Nigeria et au Burkina Faso est terrifiant. Nous intervenons aussi beaucoup au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique latine.

Patrick Pilcer

​Nous avons investi dans la recherche et dans notre unité de soins de suite à Villejuif : sophrologues, kinés, ostéopathes, spécialistes du sport pour aider les patients à mieux supporter les traitements. Grâce à nos dons, nous finançons les programmes de recherche qui nous sollicitent. Mais les besoins sont immenses. Nous aimerions surtout une grande journée dédiée au cancer sur un média public, façon Téléthon, pour inciter les Français à donner pour la recherche et pour tous ensemble vaincre le cancer.

Grégoire François-Dainville Directeur général de la Fondation Jérôme Lejeune

​La recherche thérapeutique sur la déficience intellectuelle ne bénéficie d’aucun financement public. Pourtant, cette recherche progresse. L’objectif : corriger le déficit intellectuel. Un enfant porteur de trisomie 21 dont la mémoire et la capacité d’attention sont améliorées pourra lire, écrire, travailler, être pleinement autonome. C’est un gain humain et, à terme, des économies publiques.

Benoît Perrin

​Beaucoup de Français veulent laisser à leurs enfants et petits-enfants une France prospère. Ils ont compris que le système de dépenses publiques ne le permet pas. Ils constatent que le privé, notamment les associations de terrain, fait un travail plus efficace que l’État. Résultat : ils sont de plus en plus nombreux à demander des comptes à leurs élus sur ce qu’ils ont fait depuis cinquante ans de leurs impôts.

Les Français souhaitent savoir où va leur argent. Quel message leur adressez-vous pour les inciter à soutenir vos associations ?

Michel Valadier

​La Fondation pour l’école est le porte-parole des 2 600 écoles libres hors contrat qui scolarisent 140 000 élèves. Les donateurs doivent comprendre que l’école constitue le premier investissement au service du bien commun. Cette année, plus de 100 écoles ont été créées sur 185 projets recensés. Le désir d’écoles nouvelles est impressionnant et mérite d’être soutenu. Notre objectif : revenir à l’esprit de la loi Debré de 1959, qui a été dévoyée par une limitation progressive de la liberté scolaire. À l’époque, il s’agissait de supprimer une injustice criante : les parents d’élèves des écoles libres payaient deux fois l’école, par leurs impôts pour l’école publique et par la scolarité de leurs enfants. Face à la menace d’une grève de l’impôt, Michel Debré a décidé de prendre en charge les salaires des professeurs des écoles libres. Nous demandons que la logique de départ soit respectée et s’étende à toutes les écoles hors contrat, sous forme de chèque scolaire ou d’un autre mécanisme similaire, et que soient élagués soixante ans d’empilement de contraintes et de normes. Pour être entendus, il est capital d’accompagner la multiplication des écoles libres.

Antoine d’Arras

​Notre message d’espoir tient en une phrase : l’avenir ne se décrète pas, il se transmet. La preuve ? La première génération de filleuls accompagnés a créé l’association Un Avenir ensemble (Unaven), qui soutient aujourd’hui les nouveaux bénéficiaires et illustre parfaitement la chaîne de transmission que nous avons voulue. En 2026, nous fêterons nos vingt ans d’existence et pourrons mesurer deux décennies de confiance partagée. Lorsque des citoyens français – enseignants, fonctionnaires, artisans, militaires – acceptent de donner bénévolement six à huit ans pour accompagner des jeunes boursiers, c’est un formidable signal. Nous recherchons des parrains et marraines, principalement des personnes décorées, fidèles à l’ADN voulu par notre fondateur, le général Jean-Pierre Kelche. Les entreprises peuvent également proposer à leurs salariés d’accompagner ces lycéens de la seconde jusqu’au baccalauréat.

​Le cœur de notre action, c’est le lien intergénérationnel. Ces jeunes de 15 ans sont accompagnés par des personnes majoritairement de plus de 50 ans, pour la plupart décorées de la nation. Et bien souvent, c’est le parrain ou la marraine qui reçoit le plus. Cet engagement leur permet aussi de mieux comprendre les nouvelles générations et de partager un regard croisé sur le monde. Nos 1 165 bénévoles en témoignent : ils sortent grandis de cette expérience. Les résultats parlent d’eux-mêmes : 63 % de jeunes filles accompagnées, 60 % obtiennent un CDI dès la fin du dispositif et 77 % reconnaissent avoir élargi leurs horizons grâce à la richesse de cet accompagnement unique.

Marine de Poncins

​Toutes les idéologies ont une fin, heureusement, mais la fin de l’idéologie woke , qui cible l’altérité homme-femme, la dignité humaine et plus largement notre civilisation, ne viendra pas toute seule, d’où la nécessité absolue d’agir ! Le Syndicat de la famille a pour spécificité d’agir aussi bien dans les champs médiatique que politique et juridique, en se fondant sur des compétences anthropologiques et éthiques. En outre, il agit à la fois au niveau national et international, ce qui est incontournable pour espérer changer la donne. Le Syndicat de la famille a pour atout d’être accrédité auprès de l’Union européenne et d’être un organisme consultatif aux Nations unies. Le contexte est vraiment diffi cile tant l’idéologie est prégnante. Mais nous obtenons des victoires concrètes, comme celles du 8 août et du 9 octobre dernier, devant le Conseil constitutionnel, sur la gestation pour autrui (GPA) et sur la multiparentalité.

Benoît Perrin

​Des combats qu’on pensait perdus d’avance peuvent être gagnés. La baisse de la dépense publique, dont personne ne parlait-il y a quelques années, fait aujourd’hui quotidiennement la une. Nous ne prêchons plus dans le désert. Une vague de colère monte dans la société, car nous sommes au pied du mur. Nos responsables politiques vont devoir faire des choix. Plus les Français soutiennent les associations, plus ils leur donnent de force pour faire pression sur les élus. Aucun combat n’est perdu d’avance. Les digues cèdent les unes après les autres, notamment grâce au travail des ONG et associations qui sont le réceptacle des attentes des Français.

Quel message d’espoir pour les chrétiens et l’Église persécutés ?

Benjamin Blanchard

​Difficile de trouver des mots positifs : l’année 2024-2025 est terrible, que ce soit en Éthiopie, au Liban, où la guerre reprend, en Syrie ou en Arménie. Il faut que nos associations continuent d’agir et que la générosité perdure.

​Quand nous aidons les chrétiens et leurs églises, cela profite à toute la société. Une école chrétienne ouverte permet à bien plus d’enfants que les seuls chrétiens d’avoir une bonne éducation et d’envisager de ne pas émigrer – c’est le problème majeur. Au-delà de la persécution, l’émigration des chrétiens et de toute la société déstabilise ces pays. Ce sont les gens formés qui partent. En Éthiopie, dans toutes les paroisses visitées, des sessions sont consacrées à ce message : “Restez, n’émigrez pas”. L’Arménie a perdu un tiers de sa population en trente ans. Comment un pays peut-il survivre dans ces conditions ?

Caroline van Pradelles

​Effectivement, ce sont les plus instruits qui quittent leurs pays. Restent les plus fragiles, aidés par l’Église qui demeure sur place quelles que soient les circonstances. Mon message : il ne faut pas perdre espoir ni croire qu’il est impossible d’aider. Chaque don compte, chaque soutien compte. Nous disons qu’il n’y a pas de petits dons, car même modeste, un don peut avoir un impact considérable au bout du monde. L’Église intervient dans la santé, l’éducation, le soin des personnes handicapées et âgées. Les petits dons financent cela, quelles que soient les circonstances. Exemple récent : l’ouragan Melissa, dans les Caraïbes. Nous enverrons de l’aide à Haïti et à Cuba, car nous avons des partenaires locaux enracinés qui resteront jusqu’au bout. Aider l’Église, c’est aider les personnes sur place et les plus fragiles. Personne ne doit croire que son don est insuffisant.

Et dans le secteur de la santé, doit-on être optimiste ?

Patrick Pilcer

​On parle beaucoup économie, budget, retraites, mais le premier capital des Français, c’est leur santé. En investissant dans la recherche, en donnant à nos associations, ils améliorent leur capacité à mieux vivre comme leur potentiel de survie. Certains cancers du sein, mortels à presque 100 % il y a dix ans, sont aujourd’hui parmi les plus faciles non pas seulement à traiter, mais à guérir complètement.

​Il y a énormément d’espoir. Mais la France doit redevenir la patrie de la recherche médicale. Nous avons les cerveaux, les talents, les chercheurs, les médecins, les patients, malheureusement aussi, mais il nous manque la stratégie. L’État doit cesser d’être un État-comptable pour devenir État-stratège et orienter l’argent vers la recherche, l’innovation, le progrès. Cela dépend du courage des politiques et de la solidarité des Français. Le courage et la solidarité constituent l’ADN de la France. Il faut maintenant réaligner ces chromosomes pour que, tous ensemble, nous puissions vaincre le cancer.

Grégoire François-Dainville

​On croit souvent qu’il n’y a rien à faire pour la trisomie 21 ou que le handicap intellectuel est déjà hyperaidé grâce au Téléthon. En réalité, nous ne recevons pas un centime du Téléthon ! Il y a beaucoup à faire et nous avons fait d’énormes progrès. La recherche sur la trisomie 21 a beaucoup progressé en vingt ans avec des premiers candidats-médicaments. Nous terminons l’étude de phase 1 du premier, sans aucun problème de tolérance. Cette recherche bénéficie au cancer et à la maladie d’Alzheimer. Les femmes trisomiques n’ont pas de cancer du sein, sauf forme génétique particulière, ce qui intéresse de nombreux chercheurs. Un gène impliqué dans l’Alzheimer se trouve sur le chromosome 21, ce qui explique que les personnes trisomiques développent cette maladie plus précocement. En soutenant une cause qui paraît perdue, on fait avancer la recherche pour toutes les maladies. La recherche bénéficie à tous.

​Nos actions sont concrètes et transparentes. Nous rendons des comptes et conduisons une gestion prudentielle de nos ressources. C’est vertueux et rassurant. En France, sur 50 000 familles concernées par la trisomie 21, nous en suivons 13 000. Cela peut paraître peu, mais nous envoyons un message d’espoir à tous : la vie des malades est digne, ils ont le droit de vivre et d’exister. La fragilité fait partie de notre humanité. Même si nous ne pouvons pas soigner, accueillir ou guérir tout le monde, ce message s’adresse à tous.

Michel Valadier

​15 % des écoles libres accueillent des enfants trisomiques.

Patrick Pilcer

​Je crois à un triptyque : savoir, comprendre, agir. Grâce à nos associations, les Français savent mieux, comprennent plus. À eux d’agir maintenant en nous aidant.

Que pensez-vous du dispositif de défiscalisation des dons ?

Patrick Pilcer

La solidarité est essentielle, elle fait partie du vivre-ensemble. Ce qui manque ? Un dispositif Pasteur. L’incitation fiscale Coluche, c’est du court terme. Il faut arrêter de panser avec un “a” et se mettre à penser avec un “e”. Il nous faut mieux “penser” pour moins “panser”. Cela suppose de changer de braquet : investir massivement dans la recherche comme dans la prévention. Quand j’ai pris mes fonctions, une jeune patiente m’a confié que nos chercheurs et nos médecins ne lui ont pas seulement offert un traitement, ils lui ont permis un avenir. C’est notre rôle : faire arriver les traitements le plus vite possible auprès des patients. Une bonne fiscalité n’est pas punitive, elle est incitative. Alors incitons…

Grégoire François-Dainville

À la Fondation Jérôme Lejeune, nous poursuivons l’œuvre de Jérôme Lejeune, médecin, chercheur et avocat de la vie et de la dignité humaine. Nous finançons consultations et recherche. Le dispositif Coluche, c’est bien, mais il ne finance pas les causes inscrites dans le temps très long. Or, la recherche, c’est du temps très long.