26 mars 2015

Réforme du collège : non à la fin des langues anciennes

Parmi ces options, le latin et le grec ancien subissent un sort tout particulier. L’inclusion de ces disciplines dans le nouveau dispositif des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, ou EPI, laisse à penser au grand public qu’elles existeront toujours dans le nouveau collège de 2016, or c’est un leurre.

À l’heure actuelle, en effet, en collège, un élève peut suivre l’option latin, de la 5e à la 3e, avec un horaire hebdomadaire de 2h en 5e et de 3h en 4e et 3e, ainsi que l’option grec 3h par semaine en 3e.

Durant ces cours, non seulement les élèves acquièrent des connaissances à propos des civilisations, des arts, de la pensée antique, mais ils apprennent aussi et surtout les langues grecque et latine, pour lire et comprendre de façon directe et personnelle les textes laissés en héritage par les Anciens à l’humanité.

Or l’objectif des EPI, assurés conjointement par deux professeurs de matières différentes (et non nécessairement spécialistes) sera une réalisation matérielle d’un projet et non un apprentissage méthodique, formateur pour l’esprit. De fait, l’enseignement linguistique, historique, littéraire, et même culturel du latin et du grec disparaît dans ce nouveau dispositif. Il semble également impossible, alors qu’il serait déjà irréaliste d’espérer enseigner le latin et lui seul dans ces conditions, d’assurer simultanément l’enseignement des deux langues anciennes dans le cadre des EPI. Cela se résumerait, au mieux, à une découverte superficielle de l’Antiquité et aurait des conséquences lourdes sur les enseignements de langues anciennes au lycée.

De plus, chaque élève devra suivre deux thèmes d’EPI par an. Par mesure dérogatoire, le Ministère autorisera les élèves ayant choisi l’EPI dont le thème serait “Langues et Cultures de l’Antiquité” (LCA) à poursuivre cet “enseignement” durant tout le cycle 4, les autres thèmes d’EPI ne devant en effet être étudiés qu’une seule fois durant le collège.

Cette dérogation semble assurer le suivi des apprentissages pour les élèves concernés mais c’est, encore une fois, illusoire. Les élèves auront en effet, chaque année, la possibilité d’arrêter de suivre l’EPI “LCA”. A ce stade de la présentation du projet, il semble même possible pour un élève qui n’aurait pas suivi l’EPI “LCA” dès la 5e d’y participer seulement en 4e, pour arrêter en 3e et reprendre en 2nde. Qui peut imaginer dès lors qu’un apprentissage sérieux des langues anciennes pourrait avoir lieu avec cette réforme ? Que peut apprendre un élève, en “zappant” un enseignement comme bon lui semble, surtout quand cet enseignement est une langue ? Cette culture de l’immédiateté, de la superficialité, doit-elle réellement être au cœur du projet de collège pour 2016 ?

Une autre attaque portée aux langues anciennes est celle de la réduction des horaires hebdomadaires d’enseignement. Les élèves qui auraient choisi de suivre un EPI dont le thème serait les “LCA”, ne suivraient, dans le cas d’un partage équitable des heures d’EPI, un enseignement de langue ancienne qu’une heure et demie par semaine et par an en cycle 4, soit un total de 4,5 heures hebdomadaires durant le collège, contre 8 actuellement pour les élèves suivant une seule option et 11h pour ceux qui ont la chance d’étudier les deux langues anciennes dans leur collège, ainsi que le permettent les dispositions actuelles. Les conséquences de cette réforme sur la maîtrise par les élèves des langues anciennes en fin de collège seraient donc dramatiques.

Enfin, et c’est un des aspects les plus révoltants de la réforme envisagée, le projet ne présentant la découverte des langues anciennes que dans le cadre des EPI, et les moyens horaires des EPI étant pris et non ajoutés aux moyens horaires des disciplines obligatoires, il faudrait donc, pour continuer à assurer la transmission de ces disciplines séculaires, prélever des heures sur les enseignements de français.

Autant dire que ni les conseils pédagogiques des établissements, présidés par les chefs d’établissement et constitués d’enseignants de toutes les matières, ni les conseils d’administration – les deux instances en charge de l’organisation des EPI – ne permettront probablement aux langues anciennes d’exister encore au collège dans des conditions garantissant leur véritable enseignement : cela réduirait considérablement les possibilités de travailler le français pour des élèves déjà en grande difficulté dans ce domaine. Laisser la responsabilité aux établissements de choisir d’offrir ou non l’étude du latin et du grec, c’est renoncer à une éducation nationale et proposer une école à deux vitesses.

Devant l’annonce de ce projet, dont la réalisation mettrait immanquablement fin à l’enseignement du latin et du grec offert à tous en collège, et réserverait à quelques spécialistes, voués à disparaître rapidement, la connaissance d’un héritage pourtant découvert avec bonheur par des générations d’élèves et d’étudiants,

Nous,

latinistes,

hellénistes,

amoureux de la langue française,

d’hier, d’aujourd’hui, et de demain,

de tous âges, de tous milieux, et de toutes professions,

Nous, professeurs, élèves, étudiants, parents,

Nous, défenseurs de l’accès au savoir pour tous,

vous demandons,

Madame la Ministre,

de maintenir l’enseignement optionnel du latin et du grec, chacun à part entière, selon les modalités d’enseignement actuelles, avec un vrai programme, et des horaires qui ne soient pas subordonnés à une quelconque autre matière dans le cadre envisagé des EPI. Les élèves le souhaitant doivent pouvoir substituer l’étude des deux langues anciennes aux EPI, les y ajouter ou combiner l’étude du latin ou du grec avec un EPI.

Les langues anciennes ne peuvent être réduites à des enseignements interdisciplinaires. Ces deux langues se suffisent à elles-mêmes, en ce sens qu’elles sont déjà profondément ancrées dans l’interdisciplinarité : l’enseignant de Lettres Classiques, spécialiste du français, du latin, et du grec, langues intimement liées par leurs histoires et leurs cultures, permet à tous les élèves qui le  désirent, et non seulement à l’élite, de connaître les civilisations passées pour mieux comprendre le monde qui les entoure et construire celui de demain.

Audrey Repain, professeur de Lettres Classiques, avec l’aide de nombreux collègues de Lettres.

> Pour signer cette pétition

 

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