6 novembre 2011

Quelle école pour petit Pierre?

Chantal Delsol, professeur des universités en philosophie et membre de l’Institut, a publié récemment La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire (Plon, coll. « Tribune libre »). Loin de s’en tenir à des critiques de surface, son enquête plonge aux racines mêmes des blocages idéologiques en matière d’éducation. Nous lui avons demandé de nous préciser en quoi la défense de la liberté scolaire était la voie la plus sûre vers plus de solidarité, une notion plus riche que celle d’égalité.

Le blog de la Liberté scolaire : Quand il s’agit de choisir une école pour « petit Pierre », ceux qui savent contourner la loi entretiennent un véritable « marché noir » de l’information. Voilà bien la première manifestation d’inégalités qui profitent aux initiés et limitent l’émergence de nouveaux talents dans les classes moyennes ou défavorisées. Comment peut-on y remédier ?

Mme Chantal Delsol : Il est très difficile de remédier à ce genre d’inégalité. Le rêve républicain français consistait justement à faire en sorte que toutes les écoles soient semblables afin que personne ne soit laissé en chemin. Il s’agit d’une utopie. L’inégalité d’information ne peut être réduite que lorsque les élites locales font bien leur travail, c’est à dire apportent l’information aux autres. Un maire par exemple prête ses informations et ses relations à ses administrés.

Une des premières idées fausses que vous réfutez est celle d’une école « ouverte », où les élèves seraient les égaux de leur maître. Comment une école qui a pour vocation première de transmettre pourrait-elle le faire sans une hiérarchie entre le maître et les élèves ?

Partout où l’on récuse les hiérarchies on en vient soit à la révolte et au désespoir des enseignants, comme dans le film « La journée de la jupe », soit à la démagogie des enseignants qui dès lors n’enseignent plus grand chose, comme dans le film « Entre les murs ». Entre le maître et l’élève la hiérarchie est naturelle et indispensable, de par la définition même de l’activité de transmission. Ceux qui tentent ici d’instaurer une égalité sont des utopistes qui engendrent des sociétés anarchiques ou terroristes, comme Platon le disait déjà.

La sélection des enseignants par les concours de recrutement peut sembler égalitaire et très vertueuse. C’est néanmoins oublier que la vocation et le mérite individuel sont fondés sur des qualités pédagogiques difficilement réductibles à un simple empilement de savoirs. Comment former et recruter des professeurs passionnés et passionnants ?

Oui c’est une sélection juste, en ce qui concerne la compétence strictement scientifique. Mais la pédagogie s’apprend peu, elle relève de la vocation et de la passion – les IUFM étaient plutôt des écoles idéologiques que pédagogiques. Le seul moyen est donc de faire en sorte que les enseignants ne soient pas choisis pour toujours, mais que l’on puisse régulièrement remettre en cause leur engagement. Aujourd’hui la situation est à cet égard tragique, quand on voit le pourcentage élevé d’étudiants qui passent les concours sans aucune intention d’enseigner, ou les enseignants arrêtés pour dégoût du métier.

A la gratuité, présentée comme le pivot de l’égalité d’accès à l’école, vous préférez la solidarité : en payant ne serait-ce qu’une somme symbolique pour faire instruire leurs enfants, les parents seraient plus responsables.

Je pense que tout service doit être payant, fut-ce très peu, qu’il s’agisse de l’école ou du médecin. C’est une question de responsabilité. Quant à l’université, il la faudrait payante au prix coutant, mais avec des bourses pour les étudiants désargentés et méritants. On dira que les fils de famille non méritants pourront, eux aller à l’université quand même – mais les universités n’ont qu’à avoir le courage de refuser le diplôme aux étudiants qui ne travaillent pas suffisamment.

Pourquoi la diversité des enfants ne conduit-elle pas très simplement à mettre en place divers modèles pédagogiques ? N’est-ce possible qu’en dehors de l’Éducation nationale ?

L’Éducation Nationale part du présupposé que tous les élèves sont semblables, car dans la vision socialiste qui est à la base, seules les différences de classe existent, les autres différences sont inventées, ou alors sans légitimité.

Pour que petit Pierre apprenne à lire, faut-il l’inscrire dans une école indépendante, ou suffit-il que ses parents aient réellement le choix entre plusieurs écoles ?

Il faut que ses parents aient les moyens de connaître la bonne école, qu’elle soit indépendante ou non. Certaines écoles publiques sont performantes. Il y a aussi beaucoup de parents qui ne savent même pas qu’il y a des problèmes de ce genre, parce qu’ils ne sont pas informés.

Chantal Delsol, La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire, Plon, coll. « Tribune libre », 2011.

Chantal Delsol a également publié récemment « Décentraliser et libéraliser l’école », in Valeurs actuelles, oct. 2011.

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