23 avril 2012

Faut-il expérimenter les charter schools en France ? Échos d’un débat organisé par la Fondation pour l’école

Cet article de Laura Taillandier consacré au colloque de la Fondation pour l’école est paru le 3 avril 2012 sur le site d’AEF, agence de presse spécialisée. Il est reproduit avec l’aimable autorisation d’AEF. 

« Le financement public du libre choix scolaire se développe dans le monde. La forme qui suscite aujourd’hui le plus d’intérêt est celle des charter schools[1] », indique une étude intitulée « bilan des expériences étrangères de financement public du libre choix de l’école », réalisée par Charles Arnoux et Liliane Debroas, docteurs en économie à l’Université d’Aix-Marseille. Cette étude commandée par la Fondation pour l’école[2] est présentée à l’occasion d’une demi-journée d’études, mardi 3 avril 2012 au Palais Bourbon, à Paris, portant sur les « chèque-éducation, crédit d’impôt, charter schools : des solutions pour réformer l’école en France ? ». Selon ces travaux, « à ce jour, les expériences les plus étendues (au regard du nombre d’enfants concernés) sont – les Pays-Bas, le Chili et la Nouvelle-Zélande pour le chèque-éducation, – certains États états-uniens pour le crédit d’impôt, – certains États états-uniens et le Royaume-Uni (Angleterre) pour les charter schools ».

Selon les auteurs de l’étude, « pour les enfants concernés par ces programmes, le bilan semble clairement positif ». « Les parents et les enfants impliqués, les hommes politiques promoteurs de ces choix affichent généralement un haut niveau de satisfaction et sont nombreux à se mobiliser pour la généralisation de ce système », relèvent-ils. Aussi, il « apparaît qu’opter pour le financement public du libre choix scolaire demeure un choix de société, un choix philosophique et éminemment politique ». « Il dépend des valeurs que l’on a, de la place que l’on accorde aux libertés des citoyens et du rôle que l’on reconnaît à l’État. » 

« Pour éclairer ce choix politique », les auteurs préconisent « de tester le financement du libre choix en France dans les domaines de pénurie ou de défaillance de l’offre éducative publique ». Selon eux, « ces expérimentations auraient au moins le mérite de répondre – dans un contexte budgétaire contraint – à des besoins éducatifs avérés et peu ou pas satisfaits aujourd’hui, tout en améliorant l’information de tous sur les avantages et inconvénients des modèles alternatifs d’enseignement et de financement du libre choix ». « Les charter schools semblent être l’expérimentation la plus économique, la moins compliquée et la plus rapide à mettre en place », ajoute Charles Arnoux.

Gestion autonome des recrutements et salaires

L’étude dénombre deux millions d’enfants scolarisés dans des écoles publiques autonomes ou charter schools, « souvent spécialisées à destination des enfants précoces ou des élèves handicapés ». « Ces écoles sont financées par des fonds publics et une charte détermine l’organisation et le fonctionnement dans laquelle sont inscrits les résultats pédagogiques assignés à l’école », détaille Charles Arnoux. « Ces établissements ont une gestion autonome des recrutements et des salaires et des choix des programmes mais les résultats sont contrôlés. Ils peuvent recevoir des dons privés mais ne peuvent pas faire de profit. Il n’y a pas de sélection des élèves mais comme il y a souvent plus de demandes que de places, les élèves sont généralement tirés au sort », détaille-t-il. Charles Arnoux relève des « avantages » aux charter schools : « le libre choix », « le coût de la scolarité inférieur à celui des écoles publiques classiques », « une souplesse permettant des expérimentations et des innovations pédagogiques ».

« Le crédit d’impôt présente un avantage : il n’y a pas de double paiement pour les familles. En revanche, il y a des inconvénients : une avance des frais qui n’est pas évidente et il peut y avoir une influence sur le choix de l’établissement en fonction du remboursement perçu », explique Charles Arnoux. Aux États-Unis, où le crédit d’impôt est le plus développé, trois programmes sont à disposition des familles : « Individual tax credit and deduction », proposé par l’Illinois ou le Minnesota ; « Education saving account », « pour les besoins spécifiques de certains enfants où l’argent est versé sur le compte épargne des parents » et proposé par exemple en Arizona ; « Tax credit scholarship » qui « permet une déduction fiscale en cas d’aide aux fondations favorisant le libre choix de l’école », en Floride.

Le chèque éducation « qui correspond à des bourses destinées à couvrir les frais de scolarité » est financé dans les différents pays par l’État et/ou les collectivités locales. « Il est à destination de l’établissement d’enseignement choisi dans la quasi totalité des pays ou de l’élève en Colombie où les familles le perçoivent tous les trimestres », précise Charles Arnoux. Le chèque éducation peut être « universel » pour l’enseignement privé et public (Chili, République Tchèque) et couvrant pour le privé l’équivalent de 100 % du coût d’une scolarité dans le public (Suède, Danemark) ; son montant peut aussi être inférieur au coût du public comme en Italie où il représente entre 25 % et 80 % de ce coût ou en République Tchèque, où il est de 50 %. Il peut être réservé au privé (États-Unis, Italie) ou modulé selon différents critères (zones géographiques, revenus des familles, etc.) comme aux Pays-Bas ou enfin soumis à la réussite de l’élève et son comportement comme en Colombie.

Le privé est-il plus performant ?

Pour autant, « il est impossible d’établir scientifiquement que l’introduction de tels mécanismes serait vertueuse en soi d’un point de vue budgétaire, financier ou académique », souligne Charles Arnoux. « L’analyse des résultats des études existantes sont pollués par la guerre entre pro et anti libre choix. Et quand les études sont neutres c’est qu’elles prennent d’infinies précautions et détaillent les arguments des deux camps sans prendre position », ajoute-t-il. Charles Arnoux précise qu’il existe « 400 méthodes différents pour appliquer ces mécanismes », ce qui rend « impossible la comparaison entre écoles », « qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes ».

« Quand on regarde le classement des 100 premiers lycées en fonction de leur valeur ajoutée, on voit que 62 de ces établissements sont privés sous contrat. Aussi peut-on dire que le privé est aussi bon voire meilleur que le public », juge de son côté Agnès Verdier-Molinié, vice-présidente de l’Ifrap, Institut français pour la recherche sur les administrations publiques. Selon une étude publiée par ce think tank, dans le premier degré, la dépense par élève et par an s’élève à 5 469 euros dans le public et à 3 518 euros dans le privé. Dans le second degré, ce chiffre s’élève à 9 989 euros pour le public et 7 201 pour le privé. « Cela montre que l’on peut produire un enseignement aussi bon sinon meilleur à un coût inférieur », constate Agnès Verdier-Molinié. Selon elle, « il faut passer par l’expérimentation », « que les écoles, collèges et lycées soient gérés par des appels d’offres auxquels répondent plusieurs entités », « lucratives ou non lucratives ». « Ces mécanismes vont venir en France et faire bouger le système. Ce sera une saine concurrence qui permettra de faire avancer l’école publique vers l’excellence », juge-t-elle.

Des conditions préalables

Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l’école, note que le Danemark et la Suède qui sont « extrêmement » bien placés dans le classement Pisa « ont mis en place ces mécanismes ». Aussi, la Fondation pour l’école propose d’expérimenter « pendant cinq ans, avec une évaluation à la clé, d’une part, l’instauration de charter schools et, d’autre part, la mise en place de crédits d’impôt ou de chèques-éducation au profit de catégories d’enfants ciblés » : enfants en échec scolaire hors zone d’éducation prioritaire, « exprimant le besoin d’étudier en internat », en ZEP, en zone rurale peu peuplée « menacés d’être privés d’écoles de proximité », à besoins éducatifs spécifiques ».

Toutefois, la Fondation pour l’école identifie des « conditions préalables » à l’introduction de charter schools dans le paysage éducatif français : « mettre en place une procédure d’agrément permettant à l’État de sélectionner les projets de création d’écoles portés par la société civile ou de transformation d’école publique en charter schools », « instaurer un financement par élève, comme les bourses pour les élèves entrant dans le dispositif », « accorder des dérogations de droit à la carte scolaire pour les enfants optant pour les charter schools », « autoriser les écoles publiques, sur la base d’un vote du conseil d’administration et des parents à se transformer en charter schools ».

Note : La Fondation pour l’école, reconnue d’utilité publique depuis 2008, fonctionne exclusivement sur dons privés. Elle alloue environ un million d’euros par an à une quarantaine d’écoles hors contrat sélectionnées par un comité. Il s’agit de dons de l’ordre de 3 000 euros pour une création d’école ou d’une prise de parts par la Fondation dans les SCI des écoles, d’après Anne Coffinier.


[1] Les charter schools sont des écoles à enseignement laïque à gestion privée bénéficiant d’une très large autonomie dans l’enseignement et dans les programmes scolaires. Leur financement est public.

[2] Cette étude vise à présenter les différents modes de financement public du libre choix scolaire existant dans le monde, afin de savoir comment ils fonctionnent et, dans la mesure des informations disponibles, quels résultats ils obtiennent. Elle ne porte que sur l’enseignement primaire et secondaire ; la maternelle, l’enseignement technique et professionnel et l’enseignement supérieur demeurent hors du champ de l’étude.

Partager sur :

Facebook
Twitter
Pinterest
WhatsApp

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée

Poster commentaire