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Montessori : une étude révèle les bienfaits de la méthode dans l’apprentissage de la lecture

Une des premières études sur la pédagogie Montessori à la maternelle, menée à Lyon, a livré ses résultats.

La présence d’écoles Montessori ne cesse de croître en France et dans le monde. Elles seraient environ 200 d’après l’Association Montessori de France. Selon celle-ci, la pédagogie Montessori « c’est avant tout une philosophie, une manière de percevoir l’enfant en le considérant comme l’acteur de sa propre construction ». Ce dernier est donc libre de choisir les activités auxquelles il veut participer, et de leur consacrer le temps qu’il souhaite, dans un environnement adapté à son rythme et à sa personnalité.

Maria Montessori, pédagogue italienne, ouvre sa première salle de classe en 1907, dans un quartier pauvre de Rome. Si cette éducation était, dans un premier temps, destinée à une population modeste, elle s’est exportée parmi les classes sociales favorisées. Aujourd’hui, il faut débourser en moyenne 500 euros par mois pour scolariser son enfant dans une école Montessori. Mais est-ce un si bon investissement ? Cet environnement permet-il réellement aux enfants de mieux développer leurs compétences, comparé au système éducatif classique ?  Peu de ressources scientifiques existent à ce jour sur la question, c’est pourquoi l’étude comparative menée à Lyon, dont les résultats ont été publiés dans la revue « Child Development », est particulièrement intéressante.

TROIS GROUPES ÉTUDIÉS PENDANT TROIS ANS

Dans un article posté le 3 mai, Jérôme Prado, chercheur pour le CNRS au centre de recherche en neurosciences de Lyon-CRNL, détaille la méthodologie de l’étude. Pendant trois ans, explique-t-il, « des enseignants d’une école maternelle de la région lyonnaise ont décidé d’adopter la méthode Montessori dans la moitié des classes de leur établissement, situé en réseau d’éducation prioritaire renforcé. Les enfants se voyaient assignés de manière aléatoire, soit à une des classes Montessori, soit à une des classes plus “conventionnelles”. »

Au total, 176 enfants ont été comparés de façon transversale et 70 d’entre eux ont été suivis depuis l’entrée en maternelle (trois ans) jusqu’à la fin de la maternelle (six ans). Deux catégories d’élèves étaient issues d’une école publique (certains suivaient la pédagogie Montessori, quand d’autres recevaient une éducation plus « traditionnelle »). Le troisième groupe d’enfants était scolarisé dans une école Montessori privée située dans un quartier cossu de Lyon. Les enfants ont été testés sur une série de tâches évaluant le langage, les mathématiques, les fonctions exécutives et les aptitudes sociales.

Entre les deux groupes issus de l’école publique, la pédagogie Montessori ne semble pas avoir eu d’impact significatif, qu’il soit positif ou négatif, sur l’apprentissage des élèves en ce qui concerne les capacités mathématiques, les fonctions exécutives et les aptitudes sociales. En revanche, les enfants des classes Montessori ont obtenu de meilleurs résultats en lecture que ceux des classes traditionnelles en fin de grande section. « De façon tout à fait intéressante, ces performances supérieures en lecture se sont avérées comparables à celles des enfants plus favorisés de l’école maternelle Montessori privée », analyse Jérôme Prado.

RÉDUIRE LES INÉGALITÉS

Par ailleurs, l’étude mentionne que « les enfants de [l’] école privée avaient tendance à avoir de meilleurs résultats que les enfants de l’école publique sur plusieurs autres mesures ». Elle confirme ainsi les conséquences des inégalités sociales et économiques sur les apprentissages précoces. Pour Jérôme Prado, les résultats révèlent que l’adoption de la méthode Montessori en ce qui concerne l’apprentissage de la lecture à la maternelle « pourrait faire progresser l’acquisition des compétences précoces en lecture, et ainsi permettre de réduire les inégalités chez les jeunes enfants ». 

En 2017, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer s’était dit favorable à « l’esprit Montessori » : « Je suis pour la créativité, la diversité des expériences, avait-il déclaré au micro de France Culture. Je ne dis pas que Montessori doit être appliqué partout. D’ailleurs c’est plus l’esprit Montessori, qui doit être revisité, dans des modalités qui doivent évoluer. Au-delà du génie pédagogique qu’était Montessori, c’est sa démarche qui est importante. »

Le site d’information éducative ToutEduc s’est fait l’écho d’une étude universitaire sur le réel intérêt éducatif des « applis éducatives » en téléchargement libre (ou payant) sur l’Apple Store ou Google Play.

Un article paru le 18 mai 20201 à retrouver sur le site de ToutEduc ICI


“Les applis ne devraient pas remplacer l’interaction humaine, et ne garantissent pas l’apprentissage de l’enfant“, explique le professeur Jennifer Zosh, en référence à une étude publiée dans le Journal of Children and Media. Elle ajoute que “les parents ne devraient pas systématiquement croire qu’un produit siglé ‘éducatif’ dans un magasin d’applications (type Google ou Apple Store, ndlr) est réellement éducatif“.

Pour Marissa Meyer, chercheuse à l’université du Michigan, l’idée d’une étude a émergé en passant en revue les applis les plus téléchargées sur Google Play. Elle explique avoir “constaté un certain nombre d’applis vendues aux enfants comme ‘éducatives’ sans justification pertinente ou vérification de ces prétentions éducatives.“

Les chercheurs ont alors développé un système d’évaluation d’applis éducatives basé sur les travaux antécédents de Jennifer Zosh, travaux qui utilisaient des siècles de recherche en sciences de l’apprentissage pour en dévoiler les fondamentaux (tels que faciliter une pensée active chez l’enfant, développer l’interaction sociale en personne ou par le biais de l’écran..). Pour ce programme, elles ont donc exploré “la façon dont ces fondamentaux de l’apprentissage pourraient (nous) aider à percevoir comment développer les nouvelles technologies afin de créer de vraies expériences éducatives à destination des jeunes enfants.“

Ainsi, le top 100 des applications promues comme éducatives dans l’Apple Store ou sur Google Play, et 24 des applis les plus fréquemment utilisées par les enfants de maternelle ont été analysées, avec une note allant de 0 (faible niveau éducatif) à 3 (fort niveau) pour chaque élément fondamental, les applis ayant moins de 5 points en additionnant les scores des quatre fondamentaux étant considérées à faible niveau éducatif. Il en ressort que le score moyen pour chaque élément fondamental était 1. Pour l’élément “interaction sociale“, le deuxième score moyen était 0. Pour les chercheurs, si ces applis ne peuvent offrir une dimension éducative de bonne qualité, elles sont un risque que les parents les choisissent à la place d’autres activités telles que la lecture, l’activité physique ou les jeux de « faire semblant », qui seraient plus bénéfiques.

Conséquences, pour les développeurs et les parents, selon Marissa Meyer : “Si des créateurs souhaitent que leurs applis aient des des gains éducatifs, nous leur recommandons de collaborer avec des experts en développement de l’enfance pour concevoir des applis à partir de la façon dont les enfants apprennent le plus efficacement. Nous recommandons également que les créateurs et les magasins d’applis travaillent avec des experts en psychologie du développement pour proposer de créer un système de notation fondé sur des preuves, pour que les parents puissent choisir des produits de meilleure qualité. “

Des parents qui, pour Jennifer Zosh, “en co-expérimentant les applis avec leurs enfants, en leur racontant ce qu’il se passe pendant qu’ils jouent, en expliquant ce qui, vu dans le monde réel, peut être relié à une chose vue dans l’application, et en choisissant des applis qui misent moins sur leur caractère distrayant, pourront aider les enfants à développer les fondamentaux de l’apprentissage et naviguer avec succès dans la nouvelle ère de l’enfance digitale.“

Retrouvez l’article ici, relayé par la le Réseau d’information pour la réussite éducative ici

Par Emma Ferrand • Publié le 
Jugé ringard par les pédagogues modernes, l’apprentissage par cœur revient en vogue. Les scientifiques sont formels: en travaillant sa mémoire, on travaille aussi sa concentration, et ses facultés d’organisation.


«Rosa rosa rosam, Rosae rosae rosa… C’est le plus vieux tango du monde, celui que les têtes blondes, ânonnent comme une ronde, en apprenant leur latin», chantait Jacques Brel qui se souvenait avec férocité de ses années de collège. Il est loin le temps où les écoliers récitaient les conjugaisons latines, et apprenaient les listes de départements.

«L’apprentissage par cœur est tombé en désuétude à partir des années 60-70», explique Claude Lelièvre, historien de l’éducation et auteur du livre L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’Histoire (éd. Odile Jacob). Désormais, les élèves se cantonnent à quelques poésies, tables de multiplications et dates clefs. «Petit à petit, les Français sensibles à la modernité, y compris en matière d’éducation, ont délaissé le par cœur», ajoute l’historien. Aujourd’hui, seuls des pays comme la Chine continuent de promouvoir la mémoire.

Les vertus de la répétition

Bonne nouvelle, le «par cœur» n’est pas mort. Des signes montrent un regain d’intérêt. Depuis quelques années, partout en France, les concours d’éloquence sont organisés par les plus grandes universités et écoles françaises. Des exercices où la mémoire est très sollicitée. C’est le cas à HEC, à la Sorbonne, mais aussi dans de nombreux collèges et lycées. Depuis 1991, des concours de mémoire ont lieu dans le monde entier. Enfin, le grand oral du bac est prévu cette année pour le bac 2021. Un virage dans l’Éducation nationale.

Ce sont les chercheurs qui les premiers ont démontré son intérêt, en particulier le chercheur en psychologie cognitive Alain Lieury qui s’est emparé du sujet dans les années 90. Son livre intitulé Mémoire et réussite scolaire paru chez Dunod en 1997 a mis en avant une chose essentielle: bien faire fonctionner sa mémoire en utilisant des méthodes qui ont fait leurs preuves est l’atout maître de la réussite à l’école. Il a notamment réhabilité la répétition abandonnée dans les années 70 au profit de la «compréhension».

«Les poésies sont aussi bénéfiques pour améliorer l’expression orale, le vocabulaire et la confiance en soi»Thomas Buttaci, neuropsychologue

Surtout, les scientifiques ont montré que la mémoire faisait travailler d’autres parties du cerveau. Pour Thomas Buttaci, neuropsychologue, «en travaillant leur mémoire, les enfants travaillent leur concentration, leurs facultés d’organisation et de planification. Les poésies sont aussi bénéfiques pour améliorer l’expression orale, le vocabulaire et la confiance en soi, par exemple», explique-t-il. Pour bien enregistrer, le cerveau a besoin d’être «attentif, d’associer ses connaissances avec d’autres, et d’entraînement pour les consolider», relève Sébastien Martinez, formateur en stratégie de mémorisation et champion de France de la mémoire en 2015.

Pour que le cerveau imprime, il est également nécessaire de lui laisser prendre son temps, aller à son rythme. «Or, nos enseignants aujourd’hui sont stressés par un programme qu’ils doivent boucler. Les élèves ne peuvent donc pas apprendre correctement, ajoute Sébastien Martinez. «Le bachotage permet de réussir un examen, mais pas d’ancrer des connaissances dans la durée», note la neurologue Catherine Thomas-Anterion.

Un gain de temps

Même adulte, avoir une bonne mémoire est un atout. «Un chauffeur de taxi sera plus efficace face aux bouchons s’il connaît les routes par cœur qu’un chauffeur qui ne sait travailler qu’avec un GPS. C’est la même chose pour un médecin qui apprend les médicaments génériques. Il va plus vite à force d’en apprendre, et n’utilise le Vidal que pour ceux peu utilisés. Idem pour un avocat qui connaît ses articles», explique Dr Catherine Thomas-Anterion, neurologue.

Pour Sébastien Martinez, «pouvoir réciter des connaissances sans réfléchir est indispensable. Il y a beaucoup d’informations que nous avons besoin de ressortir automatiquement».

Une pédagogie toujours jugée réactionnaire

Toutefois, dans les classes françaises, certains enseignants ont compris son intérêt et se désolent de son long séjour au purgatoire. C’est le cas de Chantal, professeur des écoles dans le Val-de-Marne qui «regrette qu’on ait considéré que le savoir devait venir de l’enfant en le laissant découvrir par lui-même. C’est une perte de temps. C’est à nous de lui transmettre», partage-t-elle.

Pour l’enseignante, «un enfant ne peut pas deviner les règles de grammaire en réfléchissant devant un exercice. C’est contreproductif. À mes yeux, ça ne sert qu’à remplir les cabinets d’orthophonie. Il faut qu’il les sache par cœur pour toute la vie». Et d’ajouter: «Les collégiens n’ont plus de listes de mots d’anglais à apprendre. Je comprends mieux pourquoi les Français sont si mauvais en langues. Il faut connaître par cœur les termes et leur sens pour les réutiliser ensuite».

L’humain est conçu pour apprendre

Penser qu’apprendre est l’inverse de comprendre n’a pas de sens. «Si l’on n’apprenait que par cœur, ce serait idiot. Il faut aussi comprendre et réfléchir. Il y a un juste milieu à trouver», indique le Dr Catherine Thomas-Anterion. Mais la magie du par cœur, c’est qu’au fil de l’apprentissage, l’enregistrement se fait naturellement. «Toutes nos connaissances sont un terreau pour les prochaines. L’humain est conçu pour apprendre. Et c’est super quand il prend du plaisir à le faire», conclut Sébastien Martinez.

Les pédagogies « différentes » regroupent un vaste ensemble de démarches, certes hétérogènes (pédagogies Freinet, Montessori, Steiner…), mais qui ont en commun de se démarquer de la pédagogie « traditionnelle » caractérisée, pour le dire vite, par un enseignement magistral, identique pour tous, instaurant des évaluations sommatives (c’est-à-dire visant à évaluer un niveau) et ne s’appuyant pas sur les questions et les connaissances des élèves.

Mais, quelle place ces pédagogies différentes tiennent-elles dans le système éducatif français ? Entre établissements privés et publics regroupés, en partie, au sein de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics innovants) et les écoles où un seul enseignant ou une petite équipe les mettent en place, il est difficile de dresser un état des lieux précis.

Les données disponibles permettent néanmoins de considérer que leur place est marginale dans le système éducatif français : ainsi Marie-Laure Viaud estimait, dans son ouvrage de 2008, à environ 20 000 les enfants scolarisés dans des écoles pratiquant de telles pédagogies.

A cela, il convient d’ajouter une partie des quelques centaines d’innovations recensées et les maîtres qui expérimentent telle ou telle pratique (texte libre, entretien du matin, projet…) dans leur classe, ce qui est encore plus difficile à quantifier.

Malgré cette place marginale, les pédagogies différentes font l’objet de polémiques récurrentes et médiatisées qui portent sur les principes d’enseignement (le pouvoir ou non des élèves sur la vie scolaire, la possibilité qui leur est donnée de s’exprimer, les conceptions de la discipline…), les fonctionnements et leurs effets indésirables (la confusion qui risquerait d’exister entre activités et apprentissages, la quantité d’implicites…), le public concerné (qui serait plutôt favorisé) ou encore les résultats qui ne seraient pas vraiment probants. Les positions exprimées, rarement appuyées sur des études détaillées, sont généralement tranchées.

S’efforcer de comprendre et de décrire

Je me suis efforcé de surmonter ces a priori, en demeurant très prudent et en évitant de verser dans une dérive apologétique : il existe en effet des pédagogies alternatives très différentes et des manières variées de les faire vivre. Je me suis appuyé sur des recherches de durée conséquente et croisant de multiples techniques de recherche.

J’ai ainsi travaillé sur les expérimentations instaurées par la loi « Fillon ». J’ai aussi étudié, pendant cinq ans, avec une équipe pluridisciplinaire, la pédagogie Freinet dans un milieu très défavorisé. Et, plus récemment, je me suis attaché à comprendre la pédagogie de projet mise en place dans l’école Vitruve, une des plus anciennes écoles pratiquant une pédagogie différente à Paris.

De fait, au-delà des simplifications hâtives, les fonctionnements instaurés et leurs effets sont complexes à décrire. La compréhension de ce qui est mis en place nécessite, outre une véritable humilité et un temps conséquent sur le terrain, le croisement de nombre de données issues de différentes techniques (observations, questionnaires, entretiens, analyses de documents sollicités ou non…), des échanges formels ou informels avec les divers acteurs (enseignants, élèves, parents d’élèves, personnel de service, intervenants ponctuels…), ainsi que la prise en compte de multiples dimensions (apprentissages disciplinaires ou non disciplinaires, éducation à la citoyenneté, bien-être, climat scolaire…).

Je ne reviendrai pas sur tous ces éléments que je développe dans mon dernier ouvrage, Comprendre les pratiques et pédagogies différentes, dans lequel je propose en outre un référentiel afin de mieux comprendre et analyser les fonctionnements et effets produits ainsi qu’une analyse des obstacles que rencontre la diffusion de ces pédagogies, obstacles dont une partie tient d’ailleurs, parfois, à certaines rigidités du discours des militants pédagogiques.

Les pédagogies différentes : une nécessité ?

J’ai encore essayé de mettre au jour quelques éléments, susceptibles de relativiser certaines polémiques. On peut certes émettre des critiques à l’encontre des démarches différentes. Le débat est absolument légitime.

Encore ne faudrait-il pas oublier les effets problématiques, soulignés par différentes enquêtes internationales, des démarches classiques qui demeurent dominantes en France : lassitude et burn-out d’un certain nombre d’enseignants, problèmes de niveau des élèves comparé à d’autres pays, ennui ou décrochage…

De fait, les pédagogies différentes se développent finalement tout autant sur les convictions et les engagements de certains que sur les faiblesses et les dysfonctionnements des pratiques scolaires classiques : manque d’information ou de compagnonnage avec les familles, imposition systématique sans la moindre latitude dans les tâches et les manières de les effectuer, situations peu motivantes, manque de coopération, de différenciation, d’écoute et de prise en compte des connaissances possédées par les élèves, évaluations aux critères souvent flous et tendant à stigmatiser les erreurs…

Certaines de ces difficultés amènent d’ailleurs nombre de familles à confier leur enfant à des établissements qui pratiquent des pédagogies différentes. Elles conduisent aussi certains enseignants à modifier leurs pratiques pour retrouver le goût d’enseigner, obtenir un climat plus apaisé et des résultats plus satisfaisants.

Il conviendrait aussi de se rappeler que les pédagogies différentes sont nées, au moins en partie, des problèmes rencontrés par les pédagogies classiques, que les dispositifs pour élèves en difficulté se sont appuyés et s’appuient souvent encore sur des pratiques issues des pédagogies alternatives et que nombre d’expérimentations dans des lieux particulièrement difficiles empruntent les dispositifs qu’elles mettent en œuvre aux pédagogies différentes.

De même, nombre de structures de lutte contre le décrochage scolaire s’appuient, elles aussi, sur de tels dispositifs afin de redonner goût et sens à la scolarité. On pourrait ainsi dire que ces pédagogies ont été et demeurent des laboratoires vivants et des sources de renouvellement pour les pratiques pédagogiques.

Par conséquent, je dirais volontiers que la marginalité quantitative que j’évoquais en ouverture de cet article peut faire écho à ce que Jean‑Luc Godard a exprimé à plusieurs reprises à propos de la fonctionnalité des marges. Tel a été le cas le 7 mars 1987, lors de la remise des César du cinéma français, lorsqu’il a été couronné d’un « César d’honneur ». Jean‑Pierre Elkabach l’avait alors présenté comme l’« éternel marginal du cinéma » et avait déclaré « tout drôle de ·le voir là, au milieu des professionnels du cinéma ». Jean‑Luc Godard avait alors eu cette réplique demeurée célèbre : « Vous savez, la marge c’est ce qui fait tenir les pages ensemble. ».

Les relations entre les démarches pédagogiques différentes et le système scolaire sont, peut-être, au moins en partie, du même ordre. La question vaut en tout cas la peine d’être posée.The Conversation

Yves Reuter, Professeur émérite en didactique, Université de Lille


 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Guillaume Roquette : «La ligue des béats»Par 

On a fini par s’y habituer : classement après classement, le système éducatif français n’en finit pas de sombrer.

La dernière enquête internationale nous place désormais en 24e position (parmi les 25 pays les plus développés) pour le classement des élèves en mathématiques. Le niveau d’un collégien de quatrième est grosso modo celui d’un élève de cinquième en 1995. Et ce n’est guère plus brillant dans les autres matières.

On n’en fera pas grief à Jean-Michel Blanquer. Le ministre de l’Éducation nationale fait tout ce qu’il peut pour remonter la pente : dédoublement de classes dans le primaire, réforme du lycée, «plan mathématiques», abandon de la calamiteuse réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem…

La bonne volonté gouvernementale est évidente, mais elle ne suffira pas. Car le «mammouth» souffre de handicaps qu’aucune réforme ne pourra faire disparaître.

[…]

Car c’est l’institution elle-même qui a renoncé à son devoir d’exigence. L’égalitarisme est devenu le nom hypocrite du renoncement, selon les mots si justes de Jacques Julliard. De la raréfaction des notes à la généralisation du contrôle continu, tout est fait pour dissimuler les différences entre les élèves et les établissements: plus une tête ne doit dépasser. Quand l’enfant est placé «au centre du système éducatif», son épanouissement personnel passe avant ses performances scolaires. Et ne parlons pas de l’obéissance: il n’y a qu’en Argentine et au Brésil où l’indice du climat de discipline en classe est inférieur à la moyenne observée en France, selon une récente étude de l’OCDE.

Beaucoup d’enseignants et de chefs d’établissement se désolent de cette situation. Mais le système est totalement verrouillé par des syndicats qui refusent tout aggiornamento : les directeurs d’école ne peuvent pas choisir leurs professeurs (ils ne sont même pas leurs supérieurs hiérarchiques), les mauvais enseignants ne sont pas sanctionnés, l’autonomie des collèges et des lycées est un leurre.

Résultat, jamais les performances des élèves n’ont autant dépendu de leur milieu familial: un comble pour une institution qui ne jure que par l’égalité des chances.

Au nom de la lutte contre l’islamisme radical, Emmanuel Macron a annoncé que l’instruction à domicile serait désormais « strictement limitée, notamment aux impératifs de santé. L’instruction à l’école sera rendue obligatoire. C’est une nécessité. » Le projet de loi, qui doit être examiné le 9 décembre en Conseil des Ministres, indique que « les enfants de 3 à 16 ans ne pourront plus être instruits à la maison, sauf exception soumise à l’accord de l’administration et accordée pour un an. » Nous, professionnels de l’éducation, parents d’enfants instruits à la maison, membres d’associations, sommes convaincus que l’instruction en famille doit faire partie des options possibles. Avec les différents modes d’éducation alternatifs, elle participe à la richesse et au pluralisme de la citoyenneté française. 

Liste des cosignataires : Gregory David (Responsable de la Communication, association Colibris), Ramïn Farhangi (Collectif Enfance Libre), Muriel Fifils (fondatrice de l’école Caminando, Drôme), Isabelle Peloux (fondatrice de l’École du Colibri, Drôme), Marie-Hélène Pillot (co-coordinatrice de l’association Colibris, membre du réseau « Tous Dehors France »), Sophie Rabhi-Bouquet (fondatrice de l’école la Ferme des Enfants, Ardèche), Caroline Sost (Fondatrice de l’école Living School, Paris), André Stern (auteur, conférencier), Antonella Verdiani (auteure, conférencière, fondatrice du Printemps de l’éducation)

Nous pensons que l’éducation doit permettre à l’enfant la découverte de lui-même, des autres, ainsi que des savoirs et connaissances dont il aura besoin pour s’épanouir dans la société, et pour contribuer à relever les défis du siècle. Une éducation bienveillante, respectueuse et porteuse d’autonomie. C’est une aventure dans laquelle des milliers d’enseignants, de parents et d’enfants se sont déjà lancés, aux quatre coins du territoire. Et ce, sous différentes formes : au sein de l’école publique, dans les écoles privées sous ou hors contrat, ou par l’instruction en famille.

Le courant de l’école à la maison est confidentiel en France, avec environ 50 000 enfants concernés, sur plus de douze millions. Cette pratique légale et rigoureusement encadrée par l’État, depuis la loi Jules Ferry de 1882, est largement méconnue du grand public, certainement du fait de la confusion entre « instruction obligatoire » et « scolarisation obligatoire ».

Les parents qui choisissent ce type d’instruction le font pour différents motifs. La majorité est guidée par la recherche du bien-être et de l’épanouissement de leur enfant, au travers notamment de la mise en valeur de la coopération plutôt que de la compétition ; d’une pédagogie adaptée à leur enfant en particulier ; d’une plus large place accordée à l’éducation à la nature ; du développement des savoirs manuels et de l’autonomie ; et du respect des rythmes d’apprentissage différents selon les enfants.

La grande majorité des parents pratiquant l’instruction à la maison sont attachés aux valeurs républicaines, et les transmettent à leurs enfants : principe de laïcité, respect d’autrui, tolérance… Ils accomplissent, certes différemment, leur devoir d’accompagner les enfants dans leur construction en tant que citoyens. Ils forgent aussi leur esprit critique qui, loin de nuire à leur intégration dans la société, leur donne les clés pour transformer cette dernière — et non la reproduire — vers plus de solidarité, et plus de respect du vivant.

Nous sommes convaincus de la nécessité de lutter contre l’islamisme radical, et nous participons à ce combat contre l’obscurantisme et la violence en inculquant à nos enfants des valeurs d’empathie, de liberté et de non violence. Les dérives totalitaires de certains individus, quel que soit le cadre dans lequel leurs enfants sont instruits, vont à l’encontre de ces valeurs qui nous permettent de faire société. Nous les percevons comme un danger, pour les enfants concernés au premier chef, et pour la société toute entière. Mais aujourd’hui, aucun lien n’est établi entre instruction en famille et radicalisation religieuse. D’après le Ministère de l’Éducation Nationale lui-même, dans son vademecum « Instruction dans la famille »[1] paru en octobre, « les cas d’enfants exposés à un risque de radicalisation et repérés à l’occasion du contrôle de l’instruction au domicile familial sont exceptionnels. »

En visant toutes les familles pratiquant l’instruction à domicile, au nom d’une lutte contre l’islamisme radical, l’État se trompe de cible, tout en faisant fi de leur droit à instruire leurs enfants par eux-mêmes. Nous souhaitons que cessent les préjugés et les amalgames. La France ne doit pas avoir peur des différents modes d’instruction, mais bien plutôt y voir des innovations qui peuvent nourrir le système traditionnel, et qui participent à la richesse et à la diversité de la citoyenneté française.

Nous vous invitons à signer la pétition pour le maintien du droit à l’instruction en famille, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et dans l’intérêt de la République.


[1]  Vademecum « Instruction dans la famille », p38, Ministère de l’Éducation Nationale, octobre 2020. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Actualites/30/6/VDM_IEF_1338306.pdf

Le site d’information ToutEduc dévoile que la trentaine d’écoles de production, écoles professionnelles hors contrat, vont passer sous contrat avec l’Etat, à la demande de ce dernier.

Le succès de ces écoles, qui ont su proposer une formule de formation pertinente pour les élèves comme pour les entreprises, n’est plus à démontrer. Derrière cette reconnaissance, c’est la capacité d’innovation et d’expérimentation des écoles indépendantes qu’il faut saluer. 

Ces structures agiles, libres de leurs pédagogies, de leurs projets d’établissements et du recrutement de leurs professeurs, savent expérimenter, se renouveler, s’adapter… autant d’impossibles du côté de l’Education nationale.

Cette dernière le sait bien, et fait preuve de bon sens en se saisissant de formules éprouvées ailleurs pour s’en inspirer, voire les absorber comme c’est le cas ici. Quand le secteur hors contrat inspire le système classique, il accomplit pleinement une partie de sa mission de stimulation du système scolaire dans son ensemble.

On ne manquera toutefois pas de s’étonner que cette reconnaissance vienne précisément au moment où un tour de vis supplémentaire est annoncé à l’encontre des écoles indépendantes, dans le cadre de la fameuse lutte contre les séparatismes. Curieuse schizophrénie, que les porte-paroles des écoles sans contrat ne manqueront pas de rappeler à qui de droit.


Vers la reconnaissance des « écoles de production »

Paru sur le site de ToutEduc le 06 octobre 2020 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur. Voir l’article original ICI

Le ministère de l’Education nationale prévoit de reconnaître les « écoles de production ». Ce sont des établissements d’enseignement scolaire privés hors contrat qui mettent en oeuvre une pédagogie adaptée et qui s’appuient sur « une mise en condition réelle de production ». Elles mettent en effet leurs élèves « dans des situations de production similaire au milieu professionnel par la réalisation de commandes pour des clients industriels ou particuliers » et la vente de ces productions « constitue une modalité de financement pour ces écoles » qui réunissent en moyenne une trentaine d’élèves chacune, indique l’administration dans sa présentation d’un projet d’arrêté que ToutEduc s’est procuré.

Cette reconnaissance par l’Etat interviendrait à l’issue d’une instruction des dossiers de demande et d’une inspection. Une liste de 25 écoles (sur la trentaine que compte leur fédération) susceptibles d’être reconnues sera présentée au Conseil supérieur de l’éducation et elles ne pourront recevoir d’aides de l’Etat, « sous forme de bourses ou sous forme de subventions » qu’après un avis favorable du CSE.

« En contrepartie de cette reconnaissance, la nomination de leur directeur et de leurs enseignants est soumise à agrément », mais elles auront la possibilité de délivrer des certificats d’études et des diplômes à finalité professionnelle.

Le ministère rappelle que la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » prévoit que ces écoles, une fois reconnues, sont habilitées à percevoir une part de la taxe d’apprentissage et qu’elles peuvent passer des conventions « à caractère financier », avec l’Etat, les collectivités territoriales et les entreprises.

Les rapports d’inspection joints au projet d’arrêté montrent que ces écoles s’adressent prioritairement à des jeunes en situation de décrochage, qu’elles les préparent à des CAP, et que certaines doivent accorder davantage de place à l’enseignement général.

La Fondation pour l’école vient de sortir son communiqué de presse annuel sur le nombre d’ouvertures d’écoles indépendantes à la rentrée scolaire.

(chiffres mis à jour le 15 septembre 2020)

Malgré la Covid-19 et ses nombreuses conséquences, le secteur poursuit sa croissance, avec 106 nouveaux établissements recensés ! Le site Ecoles-libres.fr, l’annuaire en ligne de la Fondation pour l’école qui s’occupe chaque année de ce recensement, a en effet relevé moins d’une dizaine de cas de reports d’ouverture en raison de la crise sanitaire.

Ce sont désormais près de 1575 écoles indépendantes qui émaillent l’ensemble du territoire français, apportant une diversité bienvenue dans l’offre éducative française avec de nombreuses pédagogies alternatives au système scolaire classique.

Pour connaître le détail des ouvertures des nouvelles écoles (niveaux, implantation, pédagogie dominante et confession), consultez ICI le communiqué de presse détaillé de la Fondation pour l’école.

(cliquez sur l’icone en haut à gauche de la carte pour trier les écoles par pédagogie)

L’enseignement en ligne nécessite une préparation spécifique.
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Divina Frau-Meigs, Auteurs fondateurs The Conversation France


 

On ne peut se passer ni du social ni de l’éducation, ni des technologies qui nous connectent. C’est ce que cette crise pandémique nous montre et que ceux qui pratiquent la formation à distance soutiennent depuis longtemps. Celle-ci s’est radicalement transformée en « e-learning » ces dix dernières années, en fusionnant éducation ouverte et connectée avec médias sociaux, que ce soit sous la forme de MOOC ou de portails ouverts comme TEDx, Khan Academy, accessibles via YouTube notamment.

Les écoles et universités ont abordé la question avec grande méfiance, avec des approches panachées (« blended »), avec des espaces numériques de travail ou des plates-formes comme Moodle. Mais la logistique de la formation à distance et les pédagogies attenantes sont très différentes de celles de l’enseignement face à face.

De fait les écoles, notamment les écoles primaires, y sont peu préparées et cette transition forcée peut se faire au détriment des élèves les plus désavantagés. Les enseignants eux-mêmes peuvent être surmenés et surchargés par les modifications de routines et de taches impliquées par le passage en ligne.

Décréter que la formation à distance est la solution pour assurer la continuité pédagogique peut paraître un triomphe après des années d’ostracisme et de résistance à son égard. Mais pour ceux qui croient dans les valeurs positives du e-learning, la conjonction de la distanciation physique et de la continuité pédagogique sans préparation fait craindre une reculade par rapport aux avancées récentes. Quelques piqûres de rappel pour changer vraiment de paradigme.

Des enjeux spécifiques

Il ne faut pas se focaliser seulement sur la continuité pédagogique, mais prendre en compte aussi la continuité éducative. La continuité pédagogique vise à permettre à chaque élève de poursuivre ses apprentissages sans rupture pénalisante entre la fin d’une année scolaire et la suivante.

La continuité éducative cherche la cohérence dans l’intervention éducative, l’articulation entre projets et programmes, le travail en équipes pluridisciplinaires ou du moins les complémentarités entre acteurs, notamment, dans le cas qui nous occupe, la relation avec les parents, dans les conditions « d’école à la maison » qui sont pesantes (sans parler des cas où il n’y a pas de connectivité domestique).

Si la continuité pédagogique consiste à faire de la télévision scolaire degré zéro, en plaçant un enseignant devant un tableau face caméra, c’est méconnaître toutes les avancées du e-learning et des pédagogies actives depuis, mais c’est reconnaître à quel point nos enseignants sont peu formés aux compétences numériques et médiatiques. Comme beaucoup de nos soignants, ils ont été envoyés au front de la continuité pédagogique sans masques et sans blouses, sans les gestes barrières numériques et les respirateurs pédagogiques indispensables.

La « Maison Lumni », cours à distance diffusé sur France 4.

La continuité pédagogique s’est transformée en télétravail subi, et certains s’y sont mis avec plus de succès que d’autres, comme les profs de maths sur des chaines YouTube telles que Maths et ma team. Mais le gros du personnel enseignant a été requis, en très peu de temps, de passer par des plates-formes institutionnelles qui sont lourdes, peu agiles, peu sociales et peu participatives, en fort contraste avec les pratiques non professionnelles des jeunes et des adultes.

Du coup, la démotivation et le décrochage scolaire et universitaire peuvent faire de nombreuses victimes, sans compter celles de la fracture numérique.

Au lieu de subir le changement, il est possible de devenir acteur de changement. Et c’est ce que nous apprennent les expériences avec les MOOC et autres dispositifs de formation à distance connectée, usant des médias sociaux. Elles nous incitent à sortir de l’implicite, à expliciter au maximum nos objectifs et nos finalités. Elles nous incitent à une e-présence cognitive, sociale et designée à la fois dont les retombées hors ligne sont créatives pour penser le monde d’après.

Cultiver l’e-présence : l’apprentissage autrement

Dans l’échange entre hors ligne et en ligne, se pose la question des décisions que l’on doit prendre pour apprendre :

  • se demander l’utilité du temps assigné aux bases, aux taches
  • se demander la réelle finalité des « devoirs » (le commentaire de texte et la dissertation sont-ils les seuls modes d’accès au « texte » ? Que « doit-on » ?)
  • se demander si d’autres formes d’engagement sont possibles que la simple évaluation finale avec une note sanction.

Cela incite à envisager de faire des projets, dont certains collaboratifs, qui donnent lieu à des productions, lesquelles sont aussi des preuves et des indices d’acquisition de connaissances, d’aptitudes et de valeurs.

L’éducation est une frustration féconde, à distance ou pas ! Elle tolère échecs, essais et erreurs… Aux moments de confusion et d’insatisfaction succèdent des moments d’épiphanie et de succès. Certes, la situation actuelle crée des tensions entre interfaces en ligne et pédagogies à distance/pédagogies en présence, mais elle incite à se demander quels programmes alternatifs solliciter pour une réelle résilience une fois la crise passée (et en préparation d’autres crises à venir). Une grande partie de la réponse tourne autour de l’abondance de l’information et de sa gestion pour aboutir à la connaissance.

Cultiver l’e-présence : la proximité autrement

Dans l’échange entre hors ligne et en ligne, l’empathie pour se connecter aux autres à distance est indispensable pour faire preuve de présence ou de co-présence. L’interpersonnel a un rôle à jouer plus fort et suscite l’utilisation des formes de participation active rendues possibles par toutes sortes de médias sociaux et d’applications. Se pose crucialement la question de l’interaction entre enseignants et parents, dans un contexte français où les deux types d’acteurs ont chacun des places disjointes dans le dispositif :

  • se demander comment ils peuvent s’équiper pour collaborer
  • se demander comment devenir un accompagnant d’apprentissage sans faire concurrence à l’enseignant
  • se maintenir dans la logique du support émotionnel et du soin plutôt que dans le programme.

L’éducation n’est pas une simple transmission : les relations, les émotions et les interactions jouent un rôle essentiel pour mémoriser, chercher, et oser créer et s’exprimer. Faire montre de compassion et d’empathie à distance c’est possible de plusieurs manières, en compensant le fait que les indices visuels et oraux habituels qui indiquent la détresse, le désintérêt ou la compréhension sont peu visibles par le recours aux médias sociaux et leurs stratégies de co-présence et de proximité (likes, emoticons, lives…).

Cultiver l’e-présence : les contraintes du design autrement

Dans l’échange entre hors ligne et en ligne, les questions techniques peuvent obscurcir les envies ou ralentir les projets mais elles tendent à se réduire à un diagnostic assez simple, de gestion et taille de fichier, de droits d’accès à des applications ou logiciels (et oubli de mots de passe !). Mais se pose la question de l’IA dans l’émergente l’éducIAtion :

  • se demander quelles mesures de protection utiliser pour minimiser les conséquences possibles de l’usage des données des jeunes en milieu scolaire ;
  • se demander quels scripts sociaux et cognitifs mobiliser pour que les jeunes puissent contrôler leur performance en ligne et leur interaction avec les autres ;
  • se demander quelles représentations de l’autorité de l’enseignant vs l’autorité de la plate-forme et des outils numériques peuvent les aider à mieux les plier à leurs propres besoins et à ceux des enseignants.

L’éducation n’est pas une technologie mais elle n’est pas incompatible avec elle. Il ne s’agit pas de répliquer exactement ce que l’on fait en présentiel mais d’adopter une pédagogie appuyée sur des outils flexibles, dynamiques et multi-médias qui permettent une pédagogie active et différenciée à la fois, par l’entremise d’applications qui invitent aux jeux, défis et autres simulations.

Des outils comme Timeline permettent de faire des frises chronologiques, infogram aide à créer des cartes interactives, padlet suscite l’expression via des murs numériques, beekast facilite des sondages et votes en ligne, genial-ly invite à créer des contenus animés et même des jeux sérieux…

Exemple, utiliser genially.

Une question de maturité et de réflexivité

La situation actuelle, malgré ses tensions entre interface humaine et interface numérique, crée de la réflexivité et souligne des gains d’expérience afin que enseignement à distance et en présence deviennent des espaces conjoints, pas disjoints :

  • Réaliser que beaucoup de nos cours en présence sont menés « par défaut », par habitude, par routine, par héritage et prise de relais d’un collègue à un autre, par pression des programmes… C’est une forme d’inertie et de reproduction qu’il faut interroger au regard de la pratique en ligne.
  • Aller à l’essentiel et utiliser la réflexivité dans le design de cours en ligne pour l’appliquer aux cours en face à face. Les blogs peuvent être plus utiles que les e-mails, surtout si les étudiants sont invités à y contribuer : laisser le temps aux conversations de se développer, en asynchrone, pour obtenir une réelle participation.
  • Expliquer le processus et pas seulement l’objectif final, en développant les étapes pour éviter de croire que les élèves lisent dans nos têtes et peuvent résoudre les incertitudes de nos consignes et devoirs. Ce qui donne une exigence de transparence mais aussi de progression cognitive où les étapes sont mises en place selon divers parcours.
  • Dire le pourquoi et pas seulement le comment : faire apparaître le curriculum caché (les biais, les attentes implicites) derrière le curriculum officiel (les consignes, les routines, les programmes).

Changer de paradigme

Ces allers et retours peuvent être fructueux. Il est temps de changer le regard sur l’e-learning et ne pas voir en lui un mode de gestion du personnel, souvent associé à la menace de suppression de postes : quand il est bien fait, il suscite au contraire de nouveaux emplois – designer pédagogique, développeur d’application, modérateur de communautés d’apprentissage…

Il permet d’enseigner différemment, de varier ses pratiques, d’écouter autrement, avec une attention différente à l’autre. L’e-learning ne sonne pas le glas de l’éducation mais annonce plutôt une augmentation de l’intelligence collective, s’il est construit et non subi comme un moyen de diffuser les savoirs autrement et d’assurer un accès abordable et équitable.

Tout cela s’associe à une éthique de l’apprentissage actif, avec des pédagogies nouvelles, des curricula alternatifs, des liens avec la réalité du terrain, une attention aux situations de handicap et d’empêchement, une logique de seconde chance (pour les personnes en reprise d’études…).

L’e-confinement nous invite à prendre le temps d’une réelle conversation sur les valeurs que nous souhaitons investir dans les médias et technologies numériques. Alors que nous faisons face à des anxiétés réelles sur les scénarios du futur et à des inquiétudes sur les inégalités sociales et éducatives exacerbées par la crise, ce temps de réflexion incite à s’intéresser aux littératies dont nos jeunes ont besoin pour donner du sens aux réalités numériques dont la présence s’est imposée par défaut.

L’éducation critique aux médias et au numérique en est une, qui ne peut plus être une simple variable d’ajustement. De second curriculum qu’elle a longtemps été, il faut qu’elle fasse partie du curriculum officiel, non plus un agenda caché mais un agenda assumé. Elle est nécessaire pour évaluer les biais intégrés dans les données, les moteurs de recherche et autres applis. Elle est indispensable pour connaître ses droits en navigant en ligne et pour faire le tri dans l’abondance des contenus et des environnements numériques. Elle propose le recours à des circuits de validation par les pairs et par l’expérimentation qui sont complémentaires des circuits « classiques » (au sens littéral de « dans la classe » !).

L’e-confinement nous a donné un avant-goût de cela, avec toutes les ressources proposées aux enseignants, parents et familles pour lutter contre la désinformation. La télévision publique tout comme les acteurs de l’éducation populaire ont offert des solutions complémentaires de l’éducation nationale pour nous nourrir intellectuellement et émotionnellement. Cela s’est fait un peu de manière improvisée, avec des partages d’expériences un peu chaotiques mais aussi très rassurants. Il faudrait donner une permanence à certaines solutions transitoires et temporaires, comme le recours à l’EMI et au e-learning.

L’échelle sans précédent de la crise a révélé des défis et accéléré certaines transformations, dont la transformation numérique. Des plates-formes scolaires basées sur l’IA ont été fortement mises en avant, comme FlipGrid de Microsoft (États-Unis), Edmodo de NetDragon (Chine) ou encore Pearson Elles ont été désignées comme plateformes de secours dans certains pays comme l’Egypte, avec le soutien de l’Unesco.

Sous couvert de solidarité, elles ont même offert leurs services gratuitement pendant la crise. En France, la EdTech se compose aussi de nombreuses start-up qui se font concurrence pour présenter des solutions clé en main aux écoles.

Faute de réflexion et de politique publiques concertées, elles peuvent s’imposer sans validation de leur efficacité pédagogique et sans évaluation des risques éthiques de leur adjonction à l’enseignement en présence. Il faut une intervention publique car l’éducation ne peut être laissée aux forces du marché. C’est cela la menace réelle du déplacement des enseignants par le numérique, pas la formation en ligne. Il s’agit donc bien d’accompagner la transformation numérique dans l’éducation, mais pas au prix de nos valeurs.The Conversation

Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l’information et de la communication, Auteurs fondateurs The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Beatrice Mabilon-Bonfils, CY Cergy Paris Université et Alain Jaillet, CY Cergy Paris Université

Et si l’expérience du confinement était finalement une bonne chose pour l’école ? Comme pour toute crise, les enseignements que l’on peut en tirer vont dépendre des arrière-pensées que les uns et les autres vont y investir. En s’extrayant des perspectives politiques qu’il faudra bien analyser à un moment ou à un autre, un nouvel horizon s’offre à la société, si elle le veut bien.

D’une part, bon nombre d’expériences positives pourraient irriguer des changements de pratiques de l’école maternelle à l’université. D’autre part, bon nombre d’expériences négatives devraient irriguer la réflexion sur l’état de notre système éducatif et de sa gouvernance.

Bien sûr, on va voir une profusion de recherches ou de discours qui s’autorisent à rebondir sur le « home schooling » d’un côté et la co-éducation de l’autre pour enfoncer quelques portes largement ouvertes depuis des décennies, d’un côté sur la défiance de certains parents vis-à-vis de l’école, de l’autre sur la découverte que les élèves ont des parents et que les orientations ne sont pas forcément congruentes entre école et familles. La sociologie des années 60 déjà a fait le tour sur la question.

Si les usages opportunistes ne manqueront pas, si la crise a remis en avant le drame des inégalités scolaires, ces deux mois ont aussi invité des enseignants à explorer de nouvelles voies et des parents à changer de regard sur l’école.

Pédagogie de l’intérêt

Ce que l’expérience a apporté de positif, c’est d’abord de prouver qu’il est possible d’inventer des situations d’enseignement et d’apprentissage différentes. Visant à pallier l’absence d’un enseignant devant ses élèves, ces approches n’ont rien d’inédit. Il s’agit de considérer que l’enseignant n’est pas un réservoir de savoirs, mais un humain empathique, ingénieur de la pédagogie, qui, par des émotions et des méthodes, va instiller aux élèves le désir de plonger avec excitation et angoisse dans des domaines inconnus.

On peut avoir l’impression en disant cela d’enfoncer des portes ouvertes, pourtant, c’est bien de cela dont il est question : faire éprouver le bonheur de résoudre des inconnues et de faire face à des difficultés, tout en se portant garants face aux élèves qu’ils en sont capables et que leurs efforts seront payants.

Le mode d’emploi est plutôt connu, il est difficile à mettre en œuvre car très exigeant de la part des élèves et des enseignants, mais cela fonctionne. Le colloque international du Centre de recherche inter-universitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) organisé à Montréal, début mai en faisait la démonstration à travers le témoignage de Marie Soulié.

Cette enseignante tout ce qu’il y a de plus responsable a expliqué comment le confinement lui permettait de donner un jour nouveau à une pédagogie de l’intérêt. Les enseignants qui ont eu la chance de faire ce type d’expérience risquent d’y prendre goût.

Intervention de Marie Soulié, professeur de français, au colloque du CRIFPE, début mais 2020.

Sur le plan anthropologique, le fait que les parents aient dû remplir des fonctions d’habitude dévolues aux enseignants, leur permet d’approcher les difficultés de l’exercice, mais aussi son extraordinaire vivacité. Pour cela, encore une fois, tous les parents ne sont pas égaux, mais c’était déjà le cas avant. Il faut qu’ils se sentent autorisés à revêtir une veste, à défaut de blouse, pour laquelle il considèrent qu’ils ont une légitimité formelle.

En plongeant dans l’anthropologie structuraliste de l’américain E.T. Hall, il s’agit de comprendre que de mêmes individus peuvent évoluer dans des cultures formelles et informelles différentes et que cela ne pose en fait pas de problème, sauf si elles sont en opposition. C’est là, où l’on rebondit sur les approches bourdieusiennes de La Reproduction. Même si l’approche a des limites nombreuses, le propos est toujours pertinent et prend un éclairage nouveau pendant cette période de crise.

Pour le reste, l’inventaire des actions des nombreux enseignants, directrices et directeurs d’école serait trop long à faire, mais il est indéniable qu’ils ont été à la hauteur. Ils ont pris contact avec les familles par téléphone de manière régulière et, en réalisant ce lien de la République, ils ont dit aux parents combien ils comptaient.

Ce n’est pas du tout la même chose d’être convoqué à l’école dans les fameuses réunions parents/profs et d’être contacté par l’école pour s’entendre demander déjà, si tout va bien, puis de s’enquérir de ce que l’on peut faire avec les enfants.

Une étude en cours dans notre laboratoire auprès des 3400 enseignants qui se sont occupés des enfants de soignants pendant le confinement souligne l’importance majeure de la relation. Les premières appréhensions des enseignants portaient sur les comportements des enfants. Or les choses se sont plutôt bien passées au vu du faible nombre d’élèves, probablement aussi sensibilisés par leurs parents soignants aux gestes et protections.

L’étude montre également que la possibilité d’avoir accès à des espaces flexibles et des bâtiments de qualité a facilité leur tâche et que, malgré les bonnes conditions globales, le lavage régulier des mains restait une difficulté.

Question politique

En plus des effets positifs primaires, on peut rêver que l’expérience ait des effets positifs secondaires grâce à l’analyse de ce qui n’a pas bien fonctionné. Tout d’abord, il faudrait revenir sur le piège d’un système national centralisé à outrance, alors que la régionalisation et la responsabilisation ont montré une efficacité de bien des pays face à la situation de crise.

La crise du Covid-19 peut-elle autoriser la République à discuter d’une réelle régionalisation des responsabilités de l’Éducation, avec ses avantages et ses inconvénients, plutôt qu’en appeler encore et toujours à Jules Ferry pour que jamais rien ne bouge ?

L’éducation est la justification numéro un brandie par tous les politiques, mais jamais, jamais aucun élu ne sera sanctionné par ses actions ou inactions dans ce champ. Cela participe du champ idéologique neutre, on peut débattre sans fin, il n’y aura pas d’influence sur les votes. Au niveau régional, l’école pourrait avoir un poids plus décisif sur les projets politiques en regard de l’Éducation.

Sur le même registre des inégalités, la question du droit au numérique est posée. L’étude des connexions aux différents environnements numériques de travail lourdement payés par l’impôt, montre que les lycées professionnels sont ceux qui ont été le moins usagers des possibilités offertes par les technologies. Or les usagers des lycées professionnels sont aussi ceux dont les familles sont les plus en difficultés, souvent en précarité professionnelle, sociale et spatiale.

Un grand plan d’équipement numérique des plus démunis, de ceux qui sont le plus en difficulté ou en souffrance dans le système éducatif est une nécessité républicaine à laquelle l’État dans ses formes centralisées ne sait pas répondre efficacement. Bien sûr, on ne compte plus les plans numériques dont on valorise les dépenses comptables, mais dont on omet de vérifier l’impact, et surtout l’animation de terrain. Ne pourrait-on enfin traiter sérieusement cette question ?

Il y a quelques années, pour devenir enseignant, il fallait disposer d’un certificat de compétences en langues et d’un autre en utilisation des technologies (C2I2E). Pour l’écrasante majorité, cela a été perçu comme un pensum insupportable et inutile. Alors l’effet positif secondaire attendu de cet épisode épidémique fâcheux, c’est sans doute encore la question de la formation initiale et continue des enseignants.

La nouvelle réforme en cours changera-t-elle les choses ? À quelles conditions ? Prendra-t-elle en compte ce que nous a appris la crise inédite que nous avons vécue ?


The Conversation

Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris Université et Alain Jaillet, Professeur des Universités, membre du Laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique,Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs), CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.