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Chantal Delsol, professeur des universités en philosophie et membre de l’Institut, a publié récemment La détresse du petit Pierre qui ne sait pas lire (Plon, coll. « Tribune libre »). Loin de s’en tenir à des critiques de surface, son enquête plonge aux racines mêmes des blocages idéologiques en matière d’éducation. Nous lui avons demandé de nous préciser en quoi la défense de la liberté scolaire était la voie la plus sûre vers plus de solidarité, une notion plus riche que celle d’égalité.

Le blog de la Liberté scolaire : Quand il s’agit de choisir une école pour « petit Pierre », ceux qui savent contourner la loi entretiennent un véritable « marché noir » de l’information. Voilà bien la première manifestation d’inégalités qui profitent aux initiés et limitent l’émergence de nouveaux talents dans les classes moyennes ou défavorisées. Comment peut-on y remédier ?

Mme Chantal Delsol : Il est très difficile de remédier à ce genre d’inégalité. Le rêve républicain français consistait justement à faire en sorte que toutes les écoles soient semblables afin que personne ne soit laissé en chemin. Il s’agit d’une utopie. L’inégalité d’information ne peut être réduite que lorsque les élites locales font bien leur travail, c’est à dire apportent l’information aux autres. Un maire par exemple prête ses informations et ses relations à ses administrés.

Une des premières idées fausses que vous réfutez est celle d’une école « ouverte », où les élèves seraient les égaux de leur maître. Comment une école qui a pour vocation première de transmettre pourrait-elle le faire sans une hiérarchie entre le maître et les élèves ?

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Une tribune libre de Jean-Noël Dumont,  philosophe, directeur du Collège supérieur de Lyon.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »… La célèbre formule est évidemment une déclaration de principe, non une observation. Des conditions de l’accouchement à celles de l’éducation, tout contredit dans les faits le principe de l’égalité et lui fait violence. Comment corriger les différences économiques, sociales, culturelles ou politiques qui pèsent telle une fatalité sur des hommes qui naissent égaux et « partout sont sous les fers » ? Faire échec au destin, chercher une égalité réelle sans se contenter d’une déclaration de principe, c’est sans doute une des missions de l’école. Mais on sait que la volonté d’égaliser les conditions pour forger l’égalité a dans l’histoire lancé le rouleau compresseur du totalitarisme. Il faudrait en effet, pour corriger les inégalités, supprimer les familles, les régions, les traditions, établir enfin l’égalité par l’uniformité des conditions. Faut-il donc se résigner à ce que l’égalité contredise la liberté ?

L’école n’a pas échappé à cette question

Un même programme est diffusé en France par des professeurs censés être de même compétence et enseigner avec les mêmes méthodes dans des établissements identiques en chaque recoin du territoire. En dépit des réécritures de l’école républicaine, cette uniformité ne fut pas imposée pour assurer l’égalité des chances mais pour construire l’unité nationale et faire des soldats. Telle était la mission des « hussards noirs » que rencontra Péguy.

Encore faut-il dissuader les familles de faire travailler leurs enfants à la maison, d’où l’interdiction des devoirs à la maison dès 1956. Il faut aussi leur interdire de choisir l’établissement où iront leurs enfants. On ajouta ainsi la « carte scolaire ». Seules des réécritures délirantes peuvent voir un facteur d’égalité dans cette mesure qui enclôt chacun en son quartier. La « carte scolaire » fut d’ailleurs dressée pour des raisons de commodité de planification, pour accueillir les enfants du baby boom, non pour l’égalité des chances. Le « collège unique », lui, fut sans doute créé dans un souci d’égalité des chances. Avec le succès que l’on connaît, il assura au moins l’échec ouvert à tous.

Ainsi tournent les rouages d’une immense machine qui broie les libertés avec la meilleure volonté du monde et invoque a posteriori l’égalité des chances. On finit par confondre l’égalité des chances avec l’uniformité des conditions et suspecter toute liberté. L’école n’offre plus alors qu’une voie unique d’accès symbolisée par le baccalauréat ; un formidable embouteillage en résulte où tous se trouvent immobilisés sauf les petits malins qui connaissent les chemins de traverse. En confondant l’égalité des chances et l’uniformité des conditions, l’école devient ce couloir de l’échec où l’on ne trouve au final ni liberté ni égalité, chacun étant laissé à son destin. Les puissants cheminent à l’abri des discours sur l’égalité des chances.

On peut sortir de la contradiction

Il faut pour cela bien entendre ce que signifie égalité des chances, égale ouverture des possibles plutôt qu’encadrement des conditions. Il faut d’abord que chaque enfant, chaque famille, puisse espérer sortir de son destin par la réussite scolaire. Quel enfant place aujourd’hui sa confiance dans l’excellence pour sortir de son ornière ? On en est très loin dans ces établissements ghettoïsés ou s’évertuent  généreusement des enseignants découragés. Il n’y a pas de justice sans qualité.

Les voies offertes à l’enfant doivent être multiples. Il n’y a pas qu’une seule voie de réussite, il n’y a pas qu’une seule forme d’esprit. Il faut pour cela laisser faire l’inspiration des créateurs d’école, des pédagogues, des familles. Il n’y a pas de justice sans diversité.

Quand enfin s’ouvre un éventail varié, il faut qu’il y ait égalité devant le choix de l’école pour qu’il y ait une vraie égalité des chances. Que les familles puissent en effet se trouver dans des conditions semblables au moment de choisir l’établissement ou le type d’études de leur enfant. L’égalité devant le choix de l’école, c’est à la fois la largeur de l’information et l’aide financière aux familles quelle que soit l’école qu’elles choisissent. L’État a pour devoir de veiller à ce que tous aient accès au savoir, rendant le choix aux familles les plus modestes qui sont les plus désireuses de réussite. Les subventions publiques, en direction des écoles ou des familles, doivent rendre réelle cette liberté de choix.

Bref, c’est l’égalité devant le choix libre de l’école qui constitue la réalisation la plus effective de l’égalité des chances.

Jean-Noël Dumont,  philosophe, directeur du Collège supérieur de Lyon.

Pour le Dr Eric Konofal, coordonateur adjoint du Centre de Référence National de la Narcolepsie et Hypersomnies Rares, Centre Pédiatrique des Pathologies du Sommeil, Hôpital Robert Debré, Paris, spécialisé dans les troubles de l’attention, les problèmes d’attention n’ont rien à voir avec l’intelligence. Et pourtant ils sont une entrave réelle aux apprentissages.

Que connaît-on aujourd’hui, d’un point de vue scientifique, du fonctionnement de l’attention et de la concentration ?

Les neurosciences ont permis des avancées considérables dans la connaissance des mécanismes qui régulent l’attention. Même si on ne peut pas dire que tout soit parfaitement connu, et encore moins maîtrisé, on commence à mieux cerner, entre autres, le rôle de certains neuromédiateurs, comme la dopamine et la mélatonine, et de sels minéraux, comme le fer principalement. On connaît les rythmes circadiens qui structurent notre journée, et on peut maintenant évaluer, par des analyses biochimiques ou par imagerie médicale, les dysfonctionnements qui empêchent certains enfants de se concentrer. Avec ces données, on peut essayer d’apporter des solutions adaptées à chaque cas.

Est-il exact que les enfants ont davantage de problèmes à se concentrer aujourd’hui et, si oui, pourquoi ?

Il est difficile de répondre à cette question. On prête surtout beaucoup plus attention à ces problèmes aujourd’hui qu’avant. Les enfants sont plus massivement scolarisés, et il faut avouer que ce sont surtout les exercices scolaires, pratiqués dans le cadre de l’école, qui est un cadre uniformisé et contraignant, qui révèlent ce type de trouble. Auparavant, le système scolaire évacuait plus facilement, et précocement, les enfants qui présentaient un trouble de l’attention, d’autant plus que ce genre de trouble s’associe assez fréquemment à une hyperactivité motrice, qui peut être une stratégie développée par l’enfant pour maintenir son éveil ou son attention. Toutefois on trouve dans la littérature médicale de nombreux ouvrages qui traitent de l’inattention ou de la distraction, et ce dès le début du XIXe siècle. Il est donc probable que les enfants n’aient pas foncièrement changé, mais que notre regard sur eux se soit modifié. L’évolution de nos attentes à leur égard, et celle, très importante, des méthodes éducatives et pédagogiques ont rendu les problèmes plus apparents, et peut-être plus lourds de conséquence.

Combien de cas sont-ils pathologiques (TDAH) et à quoi est-ce généralement dû ?

Le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH), qui associe inattention, impulsivité, et hyperactivité comportementale, touche de 2 à 5 % des enfants. Le diagnostic repose sur des critères cliniques définis dans le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (DSM-IV TR), critères qu’il convient de poser sur un enfant âgé de plus de 6 ans. L’origine du trouble est physiologique, et non éducative ou comportementale comme on l’a longtemps cru. Elle est à chercher dans un dysfonctionnement dopaminergique (la dopamine est un neurotransmetteur jouant un rôle important dans le système nerveux central, c’est-à-dire au niveau cérébral), auquel s’adjoint une carence en fer. La découverte récente de l’importance du fer dans les problèmes d’attention a changé considérablement l’approche thérapeutique de ces troubles.

Peut-on traiter ces dysfonctionnements chroniques d’origine chimique autrement que par des médicaments ?

C’est assez difficile, étant donné que l’origine est physiologique. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un médicament. La première chose à faire étant de traiter la carence martiale, il faut donner du fer. Est-ce alors un médicament ? Pour être fourni en quantité suffisante, le fer doit être apporté chimiquement, et c’est alors un médicament. Mais il est bon aussi de changer les habitudes alimentaires de l’enfant (et souvent de la famille), de manière à enrichir l’alimentation en fer. Notre alimentation a beaucoup évolué au cours des trente dernières années, et cela n’est pas sans conséquences. Beaucoup de sources de fer, parmi les meilleures, n’apparaissent plus au menu des enfants : viande rouge, boudin noir, foie, huîtres, moules, cœur de bœuf, haricots secs, mâche…

Ensuite, l’environnement peut être modifié : on peut supprimer les stimuli inutiles (images trop nombreuses dans les livres et manuels, télévision,…), et aider l’enfant à se concentrer en épurant son cadre de travail (ne pas le changer de place en classe, de manière à ce qu’il se familiarise avec ce qui l’entoure et puisse « l’oublier », veiller à ce que les effectifs de ses classes ne soient pas trop nombreux,…).

En quoi les neurosciences peuvent-elles aider l’éducateur ou le professeur à adopter des méthodes d’enseignement performantes ?  Quelles sont leurs limites ?

Elles peuvent aider à poser un diagnostic, et à différencier un enfant qui ne peut pas se concentrer, même s’il le souhaite, d’un petit plaisantin agité qui perturbe le cours volontairement. Des médecins, des orthophonistes et des psychologues spécialisés dans les troubles de l’attention développent aussi des activités qui peuvent rééduquer l’enfant, et lui apprendre à soutenir son attention. Ils donnent aussi souvent de bons conseils, sur les rythmes de travail, l’organisation fonctionnelle d’une classe (place des objets, décoration…), ou sur la conduite à tenir en face de ce type d’enfants, de manière à les aider à progresser et à apprendre. Les problèmes d’attention n’ont rien à voir avec l’intelligence, et pourtant ils sont une entrave réelle aux apprentissages.

Quelles seraient vos principales recommandations aux instituteurs pour apprendre à leurs élèves à développer une attention plus soutenue ?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse « l’apprendre » aux élèves, du moins pas à ceux qui ont un vrai trouble. Mais pour faciliter la concentration, il existe de nombreuses méthodes, qui ont toutes leurs limites évidemment, mais qui peuvent être essayées par les enseignants. Quelques exemples, assez évidents : toujours bien décomposer les tâches à faire en petites unités, utiliser des métronomes ou de petites horloges pour bien circonscrire le « temps attentif » et permettre des pauses fréquentes, choisir un emploi du temps fixe et un peu ritualisé, qui permet à l’enfant de toujours savoir où il en est et de se concentrer sur le travail qu’on lui demande. D’une manière générale, il faut chercher à évacuer tout ce qui peut parasiter l’attention (je pense surtout, dans les salles de classe, aux écrans divers, aux multiples choses colorées qui décorent les murs et parfois pendent du plafond, et aux larges baies vitrées ouvertes sur la cour de récréation…).

Quel livre ou site internet conseillez-vous ?Proposition de questions :

On peut citer une association HyperSupers, laquelle a beaucoup œuvré dans l’information et la communication autour du TDAH : www.tdah-France.fr

Une présentation de cet article est parue dans Les Chroniques de la Fondation de septembre 2011.

Le professeur de philosophie Catherine Kinzler a donné un intéressant cours public sur les idées de Condorcet en matière d’école. Voilà typiquement un penseur de l’école et de la République qu’il est bon de faire lire aux futurs professeurs de l’école publique comme privée. A noter, d’ailleurs, que cet auteur est étudié à l’Institut libre de formation des maîtres par les élèves de première année. Les vues de Condorcet, développées dans ses Cinq mémoires sur l’instruction, mais aussi dans ses discours devant la Convention nationale, essentiellement en 1792, sont bien éloignées de celles que professent nombre de thuriféraires actuels de « l’école de la République ». Voici la version vidéo de ce cours public, subdivisée en 3 courtes vidéos, la première étant à visionner à partir de la minute 04.52.

La conférencière, professeur de philosophie, est par ailleurs connue notamment pour sa défense opiniâtre dela laïcité. Son blog contient un certain nombre de textes très intéressants sur l’école, et notamment sur Condorcet.

TRIBUNE LIBRE

Si le plus célèbre des gauchers n’est autre que Léonard de Vinci, combien d’autres ont souffert d’être considérés comme gauches, maladroits, « pas dans le bon sens », combien sont en difficulté quand il s’agit de lire, d’écrire et de compter ?

Gauchère elle-même, Mme Joëlle Morice Mugnier, psychopraticien de la méthode Vittoz, propose une pédagogie fondée sur la structuration de la latéralité, la latérapédagogie. Elle a résumé ses recherches dans un livre Gauchers en difficulté – La latérapédagogie, une richesse inexploitée (Pierre Téqui, 2011). Elle répond à nos questions.

Gauchère vous-même, vous avez été confrontée dès l’enfance à divers obstacles. Quels sont les plus fréquents ?

Il est commun de dire que le gaucher, puisqu’il n’est plus (a priori) contrarié de la main pour écrire, n’a plus à souffrir de sa gaucherie. Tout le monde imagine qu’il est « bien dans ses baskets ». Il existe d’ailleurs pour lui beaucoup d’outils ergonomiques qui facilitent sa vie quotidienne : ouvre-boîte, ciseaux… (Cf. www.lesgauchers.com).

Je fais partie des 14 % de gauchers en Occident qui, bien qu’écrivant avec leur main dominante, sont en réalité toujours contrariés par le sens gauche/droite de l’écriture, de la lecture, voire même de la pensée. Nous écrivons, lisons et souvent pensons « en fermeture ». Ce ne sont donc pas seulement quelques poignées de porte qui s’ouvrent à l’envers pour nous gauchers qui malmèneront notre intellect, notre psychique, nos affects… L’impact de la contrariété du sens conventionnel sur le cerveau est plus important qu’on ne pourrait l’imaginer.

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Lors de l’émission appréciée C dans l’air, du 27 septembre dernier et consacrée à la grève des personnels d’éducation, l’un des invités a préconisé avec force l’autonomisation des établissements scolaires pour contribuer à sortir notre système éducatif de la crise dans laquelle il se trouve. Pour René Sylvestre, fondateur et ancien président du groupe L’Etudiant, « il faut souligner que l’enseignement privé, actuellement, coûte moins cher à qualité égale  – non à quantité égale (ndlr : lapsus révélateur !). Toutes choses égales par ailleurs, l’enseignement dans un établissement privé coûte entre 10 et 20 % de moins. Là, il y a une question à se poser. […] C’est une question de gestion. On gère les moyens autrement et on arrive à des coûts inférieurs. […] Une des réformes à faire dans l’Éducation nationale, c’est rendre plus autonome là où ça se passe. L’enseignement ne se passe pas dans un rectorat, une région ou à l’Éducation nationale rue de Grenelle, ça se passe au lycée Turgot, au lycée Mistral d’Avignon, c’est là que ça se passe, c’est là qu’on est enseigné et enseignant. Il faut donner plus de pouvoir – je ne dis pas tout le pouvoir – plus de pouvoir, plus d’autonomie, plus de moyens, là, pour pouvoir refonder la communauté éducative qui se passe là. Dans l’enseignement privé, la communauté éducative, elle est aux Francs-Bourgeois, elle est à machin, elle est à truc (sic), ce sont des communautés éducatives. […] La décentralisation, c’est le respect du travail des gens, c’est leur dire que c’est là que ça se passe : c’est à toi, proviseur, avec ton conseil d’administration, tes professeurs, ta communauté éducative, de diriger ton établissement sous la houlette de l’État. Avec deux conditions, c’est que l’État fasse ce qu’il doit faire et qu’il ne fait plus. C’est le problème d’aujourd’hui et d’hier, l’État abandonne ses deux fonctions : la fonction de prévision, il ne prévoit plus rien, il y a longtemps qu’il ne prévoit plus rien, et il faut que l’État retrouve son pouvoir de contrôle. Il faut savoir que l’État ne contrôle plus rien, – les enseignants sont peu contrôlés -, mais il s’empêtre dans la gestion d’un système. Et quand vous vous empêtrez rue de Grenelle et au rectorat, ça donne des chiffres, des bidules… La décentralisation, la vraie, fera que la gestion se fera sur place.

Source : émission C’ dans l’air du 27 septembre 2011 http://www.france5.fr/c-dans-l-air/societe/premiere-greve-test-34047 après la 54e minute.

Luc ChatelLuc Chatel vient de sortir un nouveau lapin de son chapeau d’illusionniste : les chefs d’établissement, à l’instar des recteurs, pourront bénéficier d’une prime au mérite en fonction des performances de leur établissement et de l’application des orientations politiques.

Récompenser les meilleurs ? L’idée semble saine. Pourtant, cette réforme procède davantage d’un réflexe centralisateur à la française que d’une véritable « culture du résultat ». Quel humoriste représentera la foule des chefs d’établissement attendant anxieusement dans la cour du ministère que Luc Chatel distribue aux heureux élus leurs bons points libellés en euros ? La réforme envisagée vise une fois de plus à faire descendre vers un corps d’exécutants dociles des avantages établis au sommet de l’administration à partir d’indicateurs statistiques. La tendance à la mise sous tutelle informatique des éducateurs n’en sera que renforcée.

Ce n’est pas cette prime « à la servilité ou au conformisme » qu’on nous destine qui redressera l’école. Comme le rappelle Philippe Meyer et bien d’autres (voir ci-contre), la recette de la performance éducative est désormais bien connue de tous : c’est l’autonomie des établissements scolaires. Cela consiste à rendre à ceux qui sont en contact direct avec les enfants dans les écoles et avec leurs parents la latitude de liberté et de responsabilité qui, en France, leur est constamment dérobée. Être en situation de responsabilité réelle est une motivation bien plus puissante que compter sur des gratifications octroyées par une hiérarchie bureaucratique.

 C’est bien au directeur d’école que revient la tâche d’être l’instigateur et le garant d’une « charte scolaire » à laquelle parents, élèves et professeurs doivent adhérer pleinement. C’est bien le directeur, assisté du conseil d’école, qui recrute son équipe éducative, établit le règlement intérieur, fixe les priorités budgétaires et représente à tout moment, à l’intérieur comme à l’extérieur, l’autorité responsable. L’avantage ultime de ce type d’organisation est de générer un véritable « esprit d’école » apprécié, défendu et entretenu par tous les acteurs et les utilisateurs de l’établissement. Et c’est dans ce type de « performance » que le directeur puise d’abord le sentiment de sa réussite qui mérite effectivement d’être rétribuée à sa juste valeur.

Pierre Barthe, professeur agrégé, ancien professeur de français langue étrangère aux États-Unis, attaché de coopération éducative à l’Ambassade de France en Russie et en Lettonie

Article paru dans Les Chroniques de la Fondation, n°5, février 2010.

Andreas SchleicherCet entretien avec Andreas Schleicher, conseiller spécial du secrétaire général de l’OCDE pour l’éducation, a eu lieu lors du colloque international organisé au Sénat le 2 juin 2010 par la Fondation pour l’école sur le thème «  L’école, comment innover ? ».

Quelle est la performance du système éducatif français et quelles sont les caractéristiques structurelles des meilleurs systèmes éducatifs de l’OCDE ?

En matière d’éducation, la performance française avoisine la moyenne des pays développés, mais l’impact des facteurs sociaux sur cette performance tend à y être plus marqué que dans les autres pays de l’OCDE. Les meilleurs systèmes éducatifs présentent des disparités sensibles, mais partagent également des caractéristiques communes importantes. Ils ont cessé de se concentrer sur le contrôle des ressources et des programmes pour privilégier les résultats, et spécifient le niveau que doivent atteindre les élèves plutôt que ce que les écoles et les professeurs doivent enseigner pour en arriver là. Ils accordent également beaucoup d’attention à l’égalité entre les élèves, non pas en termes d’efforts mais plutôt de résultats, en privilégiant la diversité et la personnalisation de l’enseignement sur son uniformisation. Ils consacrent des moyens suffisants pour attirer les élèves les plus doués vers les classes les plus ambitieuses. En définitive, les bons systèmes éducatifs traitent souvent convenablement les quatre aspects suivants : ils attirent vers l’enseignement les meilleurs diplômés, considérant que la qualité de l’enseignement ne saurait excéder celle des professeurs ; ils forment efficacement ces professeurs à travers, par exemple, le recours au tutorat ou la formation intégrée des maîtres sur leur lieu de travail, (y compris sous la direction de directeurs d’école de haut niveau) ; ils mettent en place des systèmes de récompenses et de soutien particularisé pour garantir que chaque élève pourra bénéficier d’un tel enseignement ; enfin, ils construisent des réseaux d’écoles qui stimulent et diffusent l’innovation.

Quelles sont les tendances à l’œuvre dans l’OCDE ?

Nous observons dans les pays de l’OCDE une tendance de fond à une plus large délégation de responsabilité en direction des écoles. Ce mouvement s’accompagne d’efforts pour mettre en place des systèmes nationaux de normes, de financement et de soutien qui puissent garantir une distribution équitable de l’offre éducative. La plupart des établissements privés sont désormais financés en majorité par l’État, et, maintenant, pour de nombreux pays, le problème n’est plus de savoir combien il faut agréer d’établissements hors-contrat, mais de permettre à tous les établissements de bénéficier de la même autonomie que les établissements hors contrat.

Les systèmes fondés sur une forte liberté scolaire sont-ils plus  injustes socialement ?

Cela n’est pas vrai en général ; et même, en pratique, ce sont parfois les systèmes qui restreignent le plus le choix scolaire qui mènent aux injustices sociales les plus marquantes.

Entretien paru dans Les Chroniques de la Fondation, n° 3, juillet 2010.

L’État a annoncé qu’il supprimerait 2 500 emplois dans l’enseignement privé sous contrat d’ici à 2013. Comme ces professeurs-là sont tous devant les élèves, cela signifie qu’il faudra fermer partout en France des écoles catholiques. Le Secrétaire général l’a dit avec solennité lors de sa conférence de rentrée : il sera contraint de fermer « 1 000 écoles, 100 collèges et 70 lycées, environ, d’ici à 2013 ». « Ce n’est plus le signal d’alarme, mais le tocsin, qu’il sonne aujourd’hui », constate le journal Famille Chrétienne (n°1709).

N’était-ce pas pour bénéficier de la garantie d’un financement pérenne de ses établissements que l’Église de France avait choisi, sur la base de la loi Debré de 1959, de pousser les écoles catholiques à contractualiser avec l’État et donc à perdre, nécessairement, une partie significative de leur précieuse liberté ? La remise en question de l’engagement financier de l’État contraint donc les écoles privées sous contrat[1] à mettre au point sans délai une nouvelle stratégie.

La Fondation pour l’école est solidaire de toutes ces écoles car elle est convaincue qu’il ne peut y avoir de société réellement libre sans liberté scolaire, de même qu’il ne peut y avoir d’éducation à la liberté sans enseignement libre. La crise actuelle appelle des solutions audacieuses, non un simple replâtrage. Ce serait reculer pour mieux sauter.

Deux pistes nous semblent envisageables immédiatement : ouvrir des classes hors contrat au sein des établissements dits sous contrat pour scolariser tous les enfants qui le demandent, et transformer en établissements hors contrat les établissements menacés de fermeture pour assurer la continuité du service aux familles.[2] Les équipes éducatives y gagneront au passage la flexibilité qui leur manque tant aujourd’hui. La Fondation pour l’école se met à la disposition des directeurs et professeurs concernés pour les y aider. Au-delà de cette réponse de court terme, nul doute qu’il faille renégocier le cadre contractuel avec l’État en obtenant le chèque éducation, meilleur garant de la liberté de l’éducation, de l’intérêt financier de l’État et de la performance de tous, publics comme privés. 

Anne Coffinier, directrice et cofondatrice de la Fondation pour l’école

[1].  … et les structures qui les conseillent : directions diocésaines de l’Enseignement catholique, Fédération des écoles privées laïques sous contrat, Fonds social juif unifié …

[2]. Nous rappelons que le contrat se passe avec le directeur de l’établissement, pour une ou plusieurs classes données, et pas nécessairement pour tout l’établissement. Il existe déjà plus d’un établissement dit sous contrat à recourir à cette solution de la création de classes hors contrat pour accueillir les enfants sur liste d’attente malgré le refus de l’État d’ouvrir des classes sous contrat supplémentaires.

 Editorial des Chroniques de la Fondation, n° 4, octobre 2010

Dans son livre, La Charité du Christ nous presse*[1], le jeune évêque de Bayonne accepte et encourage le développement d’écoles hors contrat et catholiques : « Au nom de la liberté des parents de choisir l’école de leurs enfants, qui fonde l’existence de l’enseignement catholique en France, je ne m’opposerai pas à ce que des familles, pour des raisons pédagogiques valables et dans un souci légitime de transmettre la foi à leurs enfants, se tournent vers l’enseignement privé hors contrat, qui connaît ici ou là un certain développement. Étant assurés de l’ecclésialité de leur démarche, en particulier par le lien avec les pasteurs, ils pourront aussi, après discernement, faire partie de l’enseignement catholique diocésain, aux côtés des établissements sous contrat. »


[1] Artège, 2010, 224 pages

Article paru dans Les Chroniques de la Fondation, n° 5, février 2011