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Créée par des parents en 1995, Schola Nova est une école indépendante belge, qui fonde son programme sur  les humanités gréco-latines. En 2012, l’idée peut paraître passéiste. Pas du tout, explique sa directrice, Mme Caroline Thuysbaert. Rien de tel que la fréquentation des grands auteurs de notre tradition occidentale pour former les enfants aux défis de notre société technologique ! Il s’agit donc de redonner toute leur place aux langues anciennes et à la culture humaniste délaissées par l’enseignement officiel. Otium sine litteris mors est et vivi hominis sepultura, « Le loisir sans les lettres est la mort et le tombeau de l’homme vivant. » Cette belle devise de Sénèque orne le fronton de Schola Nova. Mme Caroline Thuysbaert nous présente ici la philosophie de l’établissement.

Comment est née Schola Nova ?

En 1995, Stéphane Feye décide de fonder sa propre école d’humanités gréco-latines. Pourtant, il est chef d’orchestre, pianiste et professeur d’Écriture musicale au Conservatoire Royal de Liège. Dans le privé, il est surtout passionné par ses traductions de traités latins, grecs et hébreux, qu’il publie régulièrement.

Sa fille aînée avait fréquenté l’enseignement catholique dit « rénové » ; les deux suivantes, la dernière école offrant encore un enseignement catholique dit « traditionnel », avec l’ancien programme gréco-latin (9 heures de latin en première secondaire). Les études des deux plus jeunes lui avaient donné satisfaction. Or cette école bruxelloise n’accueillait que des filles. Il fallait donc trouver une autre solution pour ses deux fils cadets, afin d’éviter des trajets et des embouteillages encore plus éreintants.

Il décida donc de fonder plutôt sa propre école, ce qui semblait non seulement très difficile, mais aussi totalement contraire à l’air du temps. Néanmoins, il  put dès le début compter sur l’aide de deux amis, Hans van Kasteel (philologue classique et grand érudit) et Caroline Thuysbaert (étudiante en droit à l’époque).

L’article 24 de la Constitution belge garantit la liberté d’enseignement. Il est donc légalement permis d’ouvrir une école indépendante, appelée « école privée » (ne pas confondre cette appellation avec celle d’« école privée » en France, qui correspond à « école libre subventionnée » en Belgique). Le statut légal d’une école privée, selon les termes d’un décret de la Communauté française de Belgique, est celui de l’enseignement à domicile, qui implique soit de garder l’enfant physiquement au domicile parental, soit de le confier à une institution privée.

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Une tribune libre d’Yves Morel sur les causes de l’échec de l’école en France.

L’échec de l’éducation nationale à la française provient directement des principes moraux sur laquelle elle est fondée. En ce sens, elle était fatalement condamnée dès l’origine : ce caractère de fatalité tient à la fois aux principes moraux qui fondent, en France, cette Ecole populaire d’État monopolistique et centralisée, à la conception philosophique étroitement rationaliste liée à ces principes, et, enfin, aux circonstances historiques de son édification. Le présent article se consacre aux principes moraux sous-tendant l’école étatique et notamment à l’obsession égalitaire que l’école a héritée de la Révolution française.

En France, l’idéal républicain a fait de l’Ecole, depuis Condorcet, l’instrument indispensable de l’avènement d’une société d’hommes libres et, en conséquence, égaux en dignité et en droits. Les défenseurs actuels de « l’Ecole républicaine » font observer que, précisément, l’égalité promise porte seulement sur cette dignité et ces droits, en aucun cas sur les situations sociales et la considération en découlant. Cela peut sembler une distinction de bon sens, mais, hélas, en France, si elle peut taire momentanément les revendications les plus excessives, elle ne peut convaincre et donner lieu à un consensus durable en la matière. Il ne faut pas oublier que notre démocratie (et notre conception profonde de la démocratie) ne résulte ni d’une longue évolution naturelle (cas du Royaume-Uni), ni d’une simple guerre d’indépendance et de quelques principes libéraux imprégnés de religiosité (comme aux Etats-Unis), ni d’une suite de péripéties politiques et militaires (comme en Allemagne, en Autriche, en Russie, dans les pays d’Europe de l’Est ou d’Amérique latine). La démocratie française résulte de la plus radicale des révolutions, une révolution qui a déclenché une période de guerre de vingt-cinq ans, qui a détruit tout l’ordre politique et social français et européen traditionnel, qui a affirmé la nécessité de tenir le pouvoir en suspicion et a érigé l’insurrection en droit et en devoir, qui a proclamé le plus solennellement du monde les principes de liberté et d’égalité universelle des hommes, les érigeant en dogmes, qui a enseigné au monde que son œuvre n’était pas achevée aussi longtemps que subsistaient de grandes inégalités concrètes, et qui a comporté, au milieu de son déroulement, une phase rigoureusement égalitaire (juin 1793-juillet 1794), laquelle a très fortement inspiré les fondateurs dela Troisième République, les radicaux comme les « opportunistes », les socialistes et toute la gauche.

Tous ont revendiqué cet héritage, ont affirmé qu’il esquissait une fin de l’histoire idéale vers laquelle il fallait tendre et ont façonné politiquement et éthiquement notre vision de la démocratie. En mai 1793, un député montagnard accusait (le mot convient parfaitement) les Girondins de vouloir « arrêter la Révolutionsur la bourgeoisie » ; moins de cent ans plus tard (29 janvier 1891), Clemenceau présentait la Révolution comme un « bloc » à accepter ou rejeter totalement, refusant ainsi la version girondine ou dantoniste et anti-robespierriste ou anti-hébertiste des républicains « opportunistes » au pouvoir, passablement conservateurs, car, précisait-il, le combat révolutionnaire continue. Il s’agissait là d’une position tout à fait cohérente.

Au nom même de ses idéaux et principes fondateurs, en raison même de ses origines révolutionnaires radicales, la République ne saurait s’accommoder d’inégalités criantes sans rien entreprendre pour les abolir. Le même Clemenceau, dans un discours à la Chambre des Députés (du 31 janvier 1884) reconnaissait le progrès que constituait l’institution de l’Ecole primaire gratuite et obligatoire, mais déplorait la persistance du caractère payant et culturellement aristocratique de l’enseignement secondaire. Et, trente ans plus tard, dans le Bulletin de la Ligue des Droits de l’Homme de mai 1914, Ferdinand Buisson, ancien directeur de l’enseignement primaire et collaborateur de Jules Ferry, reprenait et approfondissait cette critique. Le caractère onéreux du secondaire focalisait cette critique, mais celle-ci portait également sur la nature et les méthodes de cet enseignement.

A l’esprit de Buisson, de Clemenceau et des radicaux, il ne s’agissait pas seulement de supprimer l’obstacle pécuniaire qui interdisait l’accès du lycée aux enfants du peuple, mais bien de réaliser une révolution culturelle et sociale par la massification du secondaire. Buisson, dans le texte que nous venons de citer, compte sur la démocratisation du secondaire non pour donner loyalement leur chance de promotion aux élèves de modeste origine, mais pour « inaugurer un régime d’éducation égalitaire qui ne sera pas le dernier mot de la révolution sociale, mais pourrait bien en être le premier ». On ne saurait se montrer plus clair. Dans ces quelques mots, tout est dit. Buisson révèle ici la conception française de la démocratisation de l’enseignement, telle qu’elle a été forgée tout au long du XIXe siècle.

Il ne s’agit pas d’adapter le système scolaire aux nécessités du monde moderne (qui demande une main d’œuvre tant soit peu instruite et la formation de cadres moyens et supérieurs compétents pour l’économie, le commerce et l’administration) tout en assurant à tous une chance d’élévation sociale grâce à son intelligence et à ses compétences, mais, au sens propre du terme, de subvertir l’ordre social en dispensant à tous un enseignement académique élitiste, sans égard aux inconvénients d’une telle politique, ceux-ci étant ignorés ou tenus pour négligeables au regard de cette finalité avouée. Le drame de la conception française de l’Ecole, en France, réside en ce qu’elle est totalement habitée par ce souci de revanche sociale à base de lutte et de ressentiment de classe qui fait que l’on préfère mettre à la portée de tous un enseignement in essentia aristocratique plutôt que de diversifier, élargir et adapter l’enseignement en fonction des besoins modernes et des publics nouveaux, et ce quoi qu’il en coûte.

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« Puisque c’est impossible, faisons-le ». Un titre qui résonne comme un défi. Un livre qui ressemble à son auteur, Charles Beigbeder, créateur d’entreprises, homme d’affaires, secrétaire national de l’UMP à la pédagogie de la réforme. Donner un rôle moteur à l’éducation signifie pour lui en revenir à un pragmatisme détaché des utopies, donner plus de pouvoir et de libertés aux acteurs de l’éducation – parents, enseignants, directeurs –,  enfin, promouvoir le mérite. Il répond ici à nos questions.

Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer plusieurs chapitres à l’éducation que vous qualifiez de « chantier fondateur, celui qui donnera leur raison d’être à tous les autres »?

Comme je l’annonce dans l’introduction de cet ouvrage, il ne s’agit pas d’un énième livre relatif au déclin de la France mais d’un recueil de solutions simples et pragmatiques. Il est vrai que dans le constat que j’ai dressé, j’ai donné un rôle moteur à l’éducation. Je tire cette conclusion de mon expérience d’entrepreneur autant que de mon parcours personnel.

L’éducation, ce n’est pas seulement donner un ensemble de connaissances théoriques ou pratiques à des élèves mais c’est aussi fournir aux générations futures un cadre dans lequel elles évolueront et formeront les citoyens, les entrepreneurs, les décideurs de demain. Les graves lacunes dont souffrent les Français en matière de compréhension de l’économie, et qui ont un impact important en termes de pédagogie et de faisabilité des réformes, trouvent leur origine dans l’éducation. De même, l’incompréhension du fonctionnement de l’Union européenne, y compris parmi nos étudiants impliqués dans les études supérieures, participe de son déficit de légitimité.

Comme les effets d’une telle réforme, et je reviendrai sur l’ampleur que cela implique, ne seront pas immédiats, il est nécessaire d’ouvrir ce chantier avant tous les autres, pour que les bénéfices de l’innovation, de l’autonomie, de la confiance, de la méritocratie irriguent à nouveau tous les autres pans de l’action publique.

Vous réclamez vigoureusement que l’école en revienne au « seul vrai programme qui vaille dans le primaire, c’est lire, écrire et compter. Tout le reste est superfétatoire si ces trois objectifs ne sont pas atteints ». Pensez-vous l’Éducation nationale capable d’un tel sens des réalités et des urgences, alors qu’elle développe avec délectation depuis des décennies toutes sortes de complications absconses à rebours de ce programme ?

Je dirai que l’Éducation nationale est victime du syndrome de « l’État nurserie ». Parce que l’accès à la culture n’est pas également assuré à travers les familles, il faut le démocratiser via des programmes artistiques ; parce que certains élèves sont en surpoids, il faut veiller à leur faire pratiquer une activité physique régulière et ainsi de suite. Malheureusement, ces strates de matières accessoires ont fini par réduire l’essentiel à peu de chose.

Dans le même temps, l’utopie égalitariste a voulu sacrifier des méthodes d’enseignement ayant fait leurs preuves, telle que la méthode syllabique, en instaurant de nouvelles façons d’apprendre qui, sous couvert d’égalité, empêchent l’accès à la lecture. Et c’est ainsi que pour un volume d’heures par élève parmi les plus élevés de l’OCDE, les performances des Français dans les tests internationaux (PISA) ne cessent de se dégrader.

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Quand l’argent public manque, il semble difficile de maintenir un même service pour tout citoyen en chaque point du territoire, et pourtant, l’égalité d’accès au service public est l’une des valeurs de la République à laquelle les Français sont le plus attachés. En matière d’école, le premier critère de choix des parents est ainsi la proximité. Une Mission nationale sur la ruralité a été créée à la demande du président de la République. Il nous a paru intéressant de réfléchir également à ce sujet en interviewant M. Louis Giscard d’Estaing, maire de Chamalières et député du Puy-de-Dôme.
 

Quel est, selon vous, le grand défi qui se pose à l’école rurale, à l’heure où l’État cherche à faire des économies et tend à appliquer une logique comptable de rationalisation du réseau scolaire?

Louis Giscard d’Estaing : Le défi est de trouver un moyen de proposer aux parents une école qui offre une proximité maximale par rapport à leur domicile tout en étant suffisamment à la pointe qualitativement. Certes, les enfants des campagnes ont droit à une école proche d’eux, mais ils ont droit aussi à une école excellente par son enseignement. Dans ce contexte, par exemple, les propositions autour de l’«école numérique rurale» sont intéressantes.*

Le maintien d’une école par village (dans la mesure où il y a au moins une quinzaine d’enfants à scolariser) est-elle pour vous un objectif légitime au regard des objectifs d’égalité d’accès à l’éducation et d’aménagement du territoire ?

L.G.d’E. : Oui, c’est légitime, mais, au regard de mon expérience de député du Puy-de-Dôme, je crois aussi aux bienfaits des RPI (regroupements pédagogiques intercommunaux). Ainsi, j’ai sur ma circonscription trois communes qui ont formé un RPI: l’une scolarise les maternelles et CP, l’autre les CE1-CE2 et la troisième les CM1-CM2. Cela fonctionne bien. Il faut aussi se dire qu’en zone rurale ou montagneuse, la question des transports scolaires se pose toujours, qu’il y ait regroupement scolaire ou pas, car il est rare que l’habitation soit très près de l’école. Les regroupements pédagogiques intercommunaux sont une piste qui doit donc continuer à être explorée. Cela s’apprécie localement, au cas par cas, pour trouver quel est le bon ratio entre effectif, proximité et qualité. Au niveau du collège en particulier, il faut un minimum d’effectif pour que l’émulation et l’ouverture aux autres puissent être garanties dans l’établissement. J’ai pu le constater là encore dans mon expérience d’élu, le Puy-de -Dôme étant l’un des départements dotés du plus grand nombre de petits collèges (moins de 50 élèves). Pour que ces politiques génèrent des économies budgétaires importantes, force est néanmoins de constater qu’il faudra que l’intercommunalité évolue puissamment. On a additionné les dépenses communales et les dépenses intercommunales, ce qui est contreproductif budgétairement ! Il faudrait auditer l’application de la loi Chevènement sur l’intercommunalité. Autre problème, que dénonce d’ailleurs le sénateur du Territoire de Belfort, l’intercommunalité a été trop souvent polluée par la politisation.

Pensez-vous que les collectivités locales pourraient jouer un rôle nouveau pour assurer la continuité du service éducatif aux familles en cas de fermeture de l’école existante, comme cela a été le cas à Puy-Saint- Vincent et Saint-André-en-Vivarais ?

L.G.d’E. : Oui, dans certains cas, il est légitime que les communes aillent au-delà du simple financement des bâtiments de l’école primaire. Lorsqu’il y a des problématiques de zone de montagne ou de difficulté d’accès par exemple. L’intervention de la commune est bonne et légitime lorsqu’elle intervient à titre supplétif, en cas de défaillance ou d’insuffisance avérée de l’école publique ou diocésaine ou de problème transitoire, comme une baisse temporaire d’effectifs.

Que pensez-vous de la gestion des ressources humaines par l’Éducation nationale?

L.G.d’E. : Ce qui me semble tout à fait souhaitable, c’est que la gestion des effectifs de l’Éducation nationale se rapproche d’une gestion décentralisée. Trop de jeunes d’Auvergne, par exemple, se retrouvent catapultés contre leur gré à Créteil ou en banlieue parisienne en début de carrière. Ce déracinement institutionnalisé est regrettable.

S’il y avait un consensus local (parents, professeurs, entrepreneurs) pour reprendre une école que l’État ou l’enseignement catholique ne pourrait plus maintenir dans un village, y apporteriez-vous votre soutien financier ?


L.G.d’E. : Oui, indéniablement, s’il y a un consensus local.Je vois déjà deux cas notamment où cela se justifierait: le premier cas correspond à une baisse d’effectifs scolaires jugée provisoire et réversible, mais qui conduirait l’Éducation nationale ou la direction diocésaine à fermer la classe ou l’école concernée. Il serait logique que la mairie fasse la jointure et permette la continuité du service. Le deuxième cas correspondrait à l’émergence d’un projet à l’identité forte et conçu dans la durée. En revanche, pour un projet d’école qui serait le fait d’une poignée de parents dont tout porte à croire qu’ils se désinvestiront du projet dès que leurs propres enfants ne seront plus concernés, il est inenvisageable d’investir de l’argent communal. Mais, s’il y a un véritable projet local, porté fortement par des acteurs locaux et dans la durée, autour d’une vision pédagogique forte et cohérente, ce serait tout à fait différent.

Interview réalisée par Anne Coffinier le 19 décembre.
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* NLDR: Le ministère de l’Éducation nationale a initié un programme d’équipement numérique des écoles rurales qui représentait, en 2009, un budget de 50 millions d’euros. Ces subventions publiques ont permis d’équiper 7000 écoles situées dans les communes de moins de 2000 habitants.Elles s’élèvent à 1000 euros pour l’achat par l’école de ressources numériques pédagogiques et jusqu’à 9000 euros pour l’achat des équipements numériques prescrits par le ministère, incluant un tableau blanc interactif (TBI) et des ordinateurs. Les communes s’engagent en contrepartie à financer la mise en réseau des équipements, l’abonnement Internet haut débit de l’école et sa sécurisation.

Yves Morel, dont l’ouvrage La fatale perversion du système scolaire français vient de paraitre aux éditions Via Romana, livre sa vision personnelle et érudite de l’histoire de la liberté d’enseignement en France.

La France n’a jamais été la terre d’élection de la liberté de l’enseignement, à moins dire. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, l’enseignement des élites sociales et du clergé relevait des universités, cependant que l’enseignement populaire incombait aux écoles cathédrales des églises. A partir du milieu du XVIIe siècle, les collèges jésuites supplantèrent les universités de plus en plus sclérosées, cependant que, pour l’éducation du peuple, s’activaient les Frères des Ecoles chrétiennes. En 1762, Louis XV ordonne l’expulsion des Jésuites, ce qui entraîne la disparition de leurs collèges. Pour les remplacer, La Chalotais conçoit des collèges d’Etat aux mains de maîtres laïcs (ce qui ne signifiait pas que l’enseignement dût l’être) dans son Essai d’éducation nationale (1763) qui fait de lui le créateur de ce vocable. Louis XV s’inspire de lui, crée certains de ces collèges et institue le concours d’agrégation pour le recrutement de leurs maîtres. Mais d’autres préoccupations (la réforme judiciaire, l’assainissement des finances) et la mort (1774) l’empêchent d’aller plus loin, et ses idées seront ignorées de Louis XVI.

La Convention ferme les vieilles universités en octobre 1793, puis, après divers projets avortés, crée, par la loi Daunou du 3 brumaire an IV (25 février 1795), un enseignement public à trois degrés, primaire (non obligatoire), secondaire (écoles centrales), et supérieur (écoles spéciales). L’enseignement primaire reste embryonnaire. Les écoles centrales et spéciales sont jugées trop libérales d’esprit et trop autonomes par Bonaparte, qui les ferme et les remplace par les lycées et facultés de son Université de France, calquée sur le modèle jésuitique et donc axées sur les humanités (les écoles centrales et spéciales accordaient, elles, une large place à l’enseignement scientifique et technique, à l’histoire et à la géographie). Cette Université d’Etat, centralisée suivant le modèle jacobin, a le monopole de l’enseignement.

Les débuts de la Restauration semblent annoncer l’avènement de la liberté. Les ultras voient dans l’Université le symbole de la tyrannie jacobine continuée par Napoléon ; ils réprouvent son orientation gallicane, voire anticléricale (malgré l’imitation du modèle jésuite), se défient de ses maîtres laïcs, et ils demandent son démantèlement et le retour des collèges religieux d’Ancien Régime. Les monarchistes constitutionnels et les libéraux, eux, voient dans le monopole universitaire une manifestation de despotisme et demandent la liberté de l’enseignement. A cette époque, les progressistes sont tout à fait favorables à cette liberté. Telle est, en particulier, le cas de la Société pour l’Instruction élémentaire, soutenue par Royer-Collard, président de la Commission Royale pour l’Instruction publique, Carnot, Guizot et Louis-Philippe, duc d’Orléans, le futur Louis-Philippe, roi des Français.

Mais, très vite, une évolution se produit dans tous les partis en faveur de l’étatisme et du maintien d’un système d’enseignement public centralisé et quasi monopolistique. Les ultras (dont Mgr Frayssinous, le premier ministre de l’Instruction publique de 1824 à 1828), jugent finalement bien commode de disposer pour le gouvernement des âmes, d’un système scolaire et universitaire centralisé et monopolistique. Et, parmi les constitutionnels et les libéraux, les « doctrinaires » estiment le maintien d’un tel système nécessaire pour cimenter l’unité morale de la nation bouleversée par les changements apportés par la Révolution et l’Empire et pour dispenser un enseignement cohérent et de qualité. Cela explique que l’ordonnance royale du 29 février 1816, si elle proclame la liberté de l’enseignement, place les écoles privées (comme les publiques) sous le contrôle de comités cantonaux de surveillance dont les membres sont tous agents de l’Etat, subordonne le recrutement de tous les maîtres à l’agrément des maires, de l’Eglise et des autorités académiques, et attribue à l’Etat la définition du règlement et des contenus et méthodes d’enseignement.

En 1830, peu de temps avant les Trois Glorieuses, Guernon-Ranville, ministre de Charles X, projette l’institution d’un système d’enseignement primaire d’Etat et centralisé que Jules Ferry n’aurait pu honnêtement désavouer et dont s’inspirera Guizot.

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Plus de 20% des professeurs du primaire n’utilisent aucun manuel scolaire et préfèrent, malgré la surcharge de travail, préparer leurs fiches et les photocopier. Or, un cartable sans livres, cela n’aide guère les élèves à structurer leurs apprentissages. Voici une interview de Jean Nemo, fondateur en 2007 des éditions de La Librairie des écoles pour renouveler l’offre de manuels scolaires et en s’inspirant de méthodes éprouvées par des générations d’enseignants.
 

Qu’est-ce qu’un manuel?
Jean Nemo : Du b.a.-ba à e=mc2, le «manuel» est le document qui contient le cours. Il permet aux élèves d’avoir une vision d’ensemble du programme, de s’avancer ou de revenir librement sur des notions mal comprises. De plus, il sert de pont entre l’école et la famille. Le plus souvent, le manuel est aussi une «méthode», c’est-à-dire une mise en forme structurée et progressive des connaissances. C’est pourquoi il peut contenir exercices, illustrations et révisions.

Quid du livre du maître?
J.N. : Quand le manuel n’est pas seulement un cours illustré, mais une méthode, celle-ci repose sur des principes pédagogiques explicités dans un livre du maître. Cet ouvrage ne se limite pas à donner les réponses aux exercices. Il aide le maître, séance après séance, à organiser concrètement le «pilotage » de la classe.

De quelles libertés les éditeurs disposent-ils ?
J.N. : Les éditeurs sont libres, à condition de tenir les objectifs fixés par les programmes officiels. Ce sont les professeurs qui, par le jeu de la libre concurrence, sont en situation de rejeter les mauvais manuels : chaque professeur choisit son manuel, selon le principe de la liberté pédagogique. Il peut même décider de ne pas en utiliser. En pratique, les écoles s’efforcent de faire des choix cohérents entre les classes et entre les niveaux, afin que les élèves ne changent pas de méthode en passant du CP au CE1, par exemple.

En 2011, huit grands éditeurs concentrent 80% du marché scolaire. Quelle est la place des petits éditeurs ?
J.N. : Aujourd’hui, 20% – et sans doute plus encore – des professeurs de primaire n’utilisent aucun manuel. Sans doute ne sont-ils pas satisfaits par l’offre actuelle des grands éditeurs. En proposant une offre alternative, la Librairie des écoles espère les réconcilier avec l’usage de manuels simples, efficaces et classiques.

Quel avenir ont les manuels en ligne ?
J.N. : Peu importe le contenant, c’est le contenu qui prime. Ce qui fait la qualité d’une méthode pédagogique, c’est sa cohérence, sa progression, la qualité de sa vulgarisation. Le fait de multiplier les sources, les supports, les gadgets ne peut que nuire à la clarté et à l’ordre dont les élèves ont tant besoin. Cela dit, rien n’empêche de concevoir des contenus rassemblant ces qualités essentielles sur un support numérique. À ma connaissance, ce n’est pas encore le cas.

Pensez-vous que l’unité des programmes est une condition sine qua non de l’unité et de la cohésion politique de la nation?
J. N. : Que l’État fixe des objectifs me semble être cohérent avec l’existence d’une Éducation nationale. Mais les méthodes pour y parvenir, elles, sont le fruit d’une pratique complexe, dont l’efficacité est quotidiennement éprouvée par les professeurs. La liberté pédagogique est donc essentielle pour mettre en concurrence les différentes méthodes. Et, si certaines d’entre elles permettent aux élèves d’aller plus loin que ne l’exigent les programmes, je ne vois pas ce que la France peut y perdre.

Depuis trois ans, l’association Créer son école et la Fondation pour l’école organisent au profit des créateurs et des directeurs d’école des formations intensives pour ces «entrepreneurs de l’instruction», «ces investisseurs de l’éducation». Entretien avec Michel Valadier, consultant en management et directeur général du groupe scolaire indépendant Saint-Dominique.

Peut-on parler de management quand on dirige une école ?
Michel Valadier : L’école est une «entreprise», en ce sens qu’elle fait travailler ensemble des personnes, en vue d’un but commun, sous l’autorité d’un directeur. Si le mot management fait peur, parlons d’animation, de pilotage; mais, au final, un directeur a des préoccupations que l’on retrouve dans les autres entreprises.

Par exemple ?
M.V. : Je ne m’étendrai pas sur les contraintes administratives, mais citerai quelques thèmes récurrents qui concernent tous les directeurs d’école : Comment communiquer avec toute mon équipe? Comment évaluer les performances professionnelles de mes enseignants? Comment les faire progresser? Les recadrer? Comment gérer les relations avec mon autorité de tutelle, le conseil d’administration souvent ? Comment motiver mes collaborateurs, alors que les rémunérations sont modestes? Etc.

Comment abordez-vous ces sujets dans le cadre de la formation proposée par la Fondation pour l’école ?
M.V. : De façon très pratique. Le module «management» commence toujours par la question: «Quels sont les problèmes de direction que vous rencontrez dans votre établissement ? » Nous nous limitons ici aux questions relatives aux relations avec le personnel adulte, enseignant ou non. Nous ne parlons pas des relations avec les élèves. Puis, nous présentons trois règles de bon sens, qui sont tirées de ce que l’on appelle «l’enseignement social chrétien», mais dont l’application est universelle :
1. Comment apprendre à se dire les choses pour progresser en s’appuyant sur les faits, plus que sur les opinions et les sentiments ;
2. Apprendre à raisonner «missions» pour démêler les difficultés relationnelles, lorsque plusieurs personnes interviennent dans une même classe et connaissent des désaccords ;
3. Comment responsabiliser durablement nos collaborateurs en appliquant le principe de subsidiarité, c’est-à-dire en laissant le pouvoir à celui qui a la responsabilité. Ensuite, nous appliquons ces règles aux problèmes rencontrés par les participants dans leur école. Nous faisons en quelque sorte de la résolution de problèmes. Cela leur permet de déboucher sur un plan d’action concret et immédiatement applicable.

Parlez-vous des relations avec les parents ?
M.V.: Oui, bien évidement, car ce sont les «clients» de nos écoles, qui sont au service des familles. Mais pas n’importe comment, et c’est une autre histoire…

NB : Ces formations sont orientées «management» et non pas «pédagogie». Il s’agit de conforter les connaissances des créateurs et des directeurs d’école dans les domaines du droit social, fiscal, administratif, mais aussi de la communication, de la gestion de la qualité et du management des hommes. Tous les consultants sont non seulement des spécialistes de leur domaine d’intervention, mais ils ont également une expérience directe des établissements scolaires indépendants. Cette année, la formation des directeurs a eu lieu en décembre et la formation des créateurs aura lieu les 9 et 10 mars 2012. Les inscriptions se font à l’adresse contact[arobase]fondationpourlecole.org.

 TRIBUNE LIBRE

Patrick Andries est secrétaire de la Coalition pour la liberté en éducation, la CLÉ. Cette association québécoise défend le droit fondamental des familles à défendre ce qu’elles ont de plus précieux : leurs enfants et leurs libertés, notamment la liberté de conscience. Il nous explique ici en quoi le cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse va à l’encontre de ces libertés.

Depuis septembre 2008, un nouveau programme scolaire est devenu obligatoire au Québec: l’éthique et la culture religieuse (ECR). Ce cours obligatoire est enseigné de la première année du primaire à la dernière année du secondaire, dans les écoles publiques et privées, subventionnées ou non. Seules les écoles esquimaudes du Grand Nord québécois sont exemptées ; même les enfants éduqués à la maison doivent suivre ce cours. Ce programme remplace les cours d’éducation religieuse dans les écoles publiques.

Officiellement, le programme ECR est neutre, il permet de comprendre des éléments des principales religions du Québec, de pratiquer « le dialogue » et favorise le « vivre ensemble ». Même dans les écoles confessionnelles, le professeur ne peut marquer une préférence pour une tradition religieuse donnée et ne peut prôner explicitement des choix moraux lors des discussions éthiques. De nombreux parents, regroupés autour de la Coalition pour la liberté en éducation (CLÉ), s’opposent à ce programme et demandent à en être exemptés. Devant le refus systématique des autorités, ils ont intenté des procès. Récemment, leur cause a été entendue par la Cour suprême du Canada.

De nombreux parents considèrent ECR comme fondamentalement relativiste. Il mine leur éducation qui vise à inculquer des vertus ou une foi. L’imposition de ce programme constitue pour eux une atteinte à la liberté de conscience. Pour la CLÉ, les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et non l’État. Quand un parent s’oppose à ce programme pour des raisons de conviction, l’État doit lui accorder une exemption à moins de prouver qu’il y ait une raison impérieuse d’ignorer ces préférences parentales.

En revanche, pour les partisans de l’ECR, comme George Leroux, l’État par la présentation de la diversité peut déstabiliser utilement les systèmes absolutistes de croyance et les visions de vie bonne et ainsi favoriser le vivre ensemble. La CLÉ dénonce cette vision fondamentalement intolérante de la diversité réelle.

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Jean de Viguerie, professeur émérite des universités, nous donne ici une interview sur l’histoire de la liberté scolaire en France. Historien spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, il a consacré plusieurs livres de référence sur les éducateurs de cette période. Il vient de publier aux éditions du Cerf « Les Pédagogues ; essai historique sur l’utopie pédagogique ». Ses analyses des fondateurs de l’éducation nouvelle et de leurs épigones se distinguent brillamment de celles des chercheurs en « sciences de l’éducation », dont la pertinence est trop souvent amoindrie par un jargon abscons et un prisme court-termiste idolâtrant par principe les ruptures. Or l’enseignement est une affaire de tradition plus encore que d’innovation ; une affaire d’observation et d’humilité, avant que d’être une matière à révolution et à système.

 INTERVIEW – A propos de la liberté scolaire

Qu’entendez-vous par liberté scolaire ?

La liberté scolaire existe vraiment dans un pays quand l’État de ce pays n’a pas le monopole de l’enseignement ni celui de la collation des grades (ndlr : la délivrance des diplômes).

Toutefois une telle liberté ne peut avoir son plein effet que si le gouvernement du pays et les collectivités locales aident les familles à payer les frais de scolarité des écoles de leur choix. Si l’aide est suffisante, si la rémunération des maîtres leur permet de faire vivre convenablement leurs familles, la liberté scolaire est pleinement réalisée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France et dans la plupart des pays. Le but est d’obtenir partout cette pleine liberté. Le meilleur moyen de l’obtenir est de prendre dans toute la mesure du possible la liberté qui nous est laissée.

« La vérité vous rendra libres. » La liberté scolaire est inséparable de la vérité et dela compétence. Lesmaîtres des écoles libres doivent réunir savoir et compétence. « Un enseignement libre, écrivait le philosophe catholique Étienne Gilson, suppose un personnel qualifié pour le donner. » Et le même philosophe disait encore : « Si nous ne préparons pas ce personnel, qui donc enseignera dans nos écoles ? »

Enfin la liberté scolaire ne signifie pas isolement et repliement sur soi. Une école vraiment libre n’a aucune peine à entretenir des relations amicales et de bon voisinage non seulement avec les familles de ses élèves, mais aussi avec la population et les autorités locales. Elle se fait connaître à tous. J’ai vu une école indépendante inviter à dîner pour le dixième anniversaire de sa fondation les maires de l’arrondissement, le conseiller général et le sous-préfet. Tous sont venus, et tous ont assisté ensuite au concert donné par les élèves.

Pouvez-vous nous présenter quelques grands défenseurs de la liberté scolaire ?

La défense de la liberté scolaire date du moment où cette liberté a été contestée par l’État et parfois supprimée. A partir de la Révolution française la plupart des États ont revendiqué le monopole de l’instruction publique, ou, dans les meilleurs des cas, la surveillance étroite des écoles. Il a fallu se battre pour la liberté scolaire, se battre contre l’État.

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TRIBUNE LIBRE

Kiffe la France ! De Vaulx-en-Velin à Montfermeil, pour Hichem et Yourda, cette déclaration d’amour – Aime la France ! – est loin d’être une évidence. Kiffe la France, c’est aussi le titre audacieux d’un journal de bord tenu par Jean-François Chemain, professeur d’histoire dans un collège public d’une banlieue sensible. Il nous livre ici son témoignage de terrain, dans le cadre d’une « tribune libre ».

 Le blog de la Liberté scolaire : Jean-François Chemain, vous avez un parcours professionnel tout à fait étonnant. Vous auriez pu jouir toute votre vie de votre statut de cadre dynamique allant de cabinet de conseil en groupe industriel. Mais un jour, vous stoppez tout, reprenez des études d’histoire et demandez à être nommé dans un collège sensible. Était-ce un simple coup de folie ?

 Jean-François Chemain : Certainement pas, ce fut un acte mûrement réfléchi, porté dans la prière et, franchement, il eût été bien plus fou de ma part de continuer à faire ce que je faisais avant : j’avais alors vraiment l’impression que ça n’avait aucun sens, et je finissais par déprimer complètement !

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