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TRIBUNE – La Fondation iFrap publie, d’ici au premier tour de la présidentielle, dix études sur les sujets prioritaires du prochain quinquennat. Aujourd’hui, pour la deuxième de ces études, la directrice générale du think-tank libéral expose les mesures préconisées en matière d’éducation.

La question éducative sera au cœur des débats pour la présidentielle de 2022. On nous dit que la France décroche, que nous sommes mal classés? La France se place, dans le classement Pisa, à la 23e place sur 82 en lecture, 25e place sur 82 en mathématiques et en sciences. Selon les chiffres du ministère, un jeune Français sur dix est en difficulté de lecture. Certains pensent que nos problèmes de résultats scolaires viennent d’un manque de moyens et proposent d’augmenter les dépenses et les salaires des enseignants. Et si le sujet était plutôt celui d’une d’allocation des moyens plutôt que d’un manque de moyens?

Les évaluations nationales de 2019 sur les compétences des élèves montrent que ceux des écoles privées sous contrat ont de bien meilleurs résultats que ceux des établissements publics. 89,4 % des élèves de CM1 du privé maîtrisent bien le français contre 75,5 % dans le public, et c’est pire dans les établissements prioritaires REP et REP+, avec 54,9 % et 51,2 %. Des taux qui se confirment en sixième puisque, si 72,1 % des élèves du privé maîtrisent la compréhension et l’écrit en français, ils ne sont que 61,5 % dans le public hors éducation prioritaire (46 % en REP et 35,5 % en REP+).

La performance des élèves du privé est clairement meilleure selon les tests du ministère. Il est d’ailleurs dommage que les résultats bruts de Pisa ne soient pas différenciés entre le public et le privé. Pour y voir encore plus clair, il conviendrait d’ouvrir les données et de pointer les résultats établissement par établissement: on aurait alors sûrement des surprises, aux antipodes du storytelling de la Rue de Grenelle. Sur de nombreux territoires, en Bretagne ou en Pays de la Loire, l’offre d’enseignement privée est telle qu’on ne peut pas la soupçonner de sélection des élèves. Un manque de transparence que l’on retrouve sur la question budgétaire.

Dans le public, nous payons collectivement un surcoût de 2879 € de plus par élève et par an pour le premier degré public et un surcoût de 2883 € de plus par élève et par an pour le second degré public

En effet, il n’existe pas de budget établissement par établissement avec des données ouvertes aux citoyens qui permette de comparer les montants totaux dépensés par élève. On doit se contenter d’une comparaison de la dépense par élève (y compris la part payée par les parents) au niveau de la France. Si l’on compare ces données entre enseignement public et privé des premier (primaire) et second (collège et lycée) degrés, alors les chiffres sont édifiants: nous payons collectivement un surcoût de 2879 € de plus par élève et par an pour le premier degré public et un surcoût de 2883 € de plus par élève et par an pour le second degré public. Si tous les élèves de France étaient scolarisés dans le privé, on pourrait réaliser une économie en dépenses publiques d’environ 29 milliards d’euros par an.

Cet écart vient pour 6,1 milliards d’euros par an des rémunérations des enseignants du public par rapport au privé (les enseignants du privé touchent, en moyenne, un salaire net inférieur de 14,1 %) et pour 10,2 milliards des retraites plus généreuses des enseignants du public (calculées sur les six derniers mois) par rapport au privé (calculée sur les vingt-cinq meilleures années). Enfin, 13,1 milliards d’euros de ce surcoût sont issus de frais administratifs et de fonctionnement, supérieurs dans l’enseignement public par rapport au privé, dont 6 milliards de dépenses pour payer des agents publics «non enseignants». Cette surdépense vient notamment du fait qu’il y a un agent «non enseignant» pour 17 élèves dans le public contre un pour 24 élèves dans l’enseignement privé sous contrat.

Ces écarts entre dépenses d’éducation publique et privée se retrouvent aussi dans les comparaisons avec l’Allemagne. Loin de l’image répandue qui voudrait que l’on dépense beaucoup moins en France pour payer nos professeurs de l’enseignement public que nos voisins d’outre-Rhin, la France dépense plus que l’Allemagne par enseignant: le salaire moyen super brut (pensions incluses) d’un enseignant allemand étant de 76.628 € par an en moyenne contre 78.479 € pour un enseignant français. En cause? Le poids des contributions aux pensions deux fois plus élevées chez nous: 9,29 milliards d’euros de cotisations pour les pensions en Allemagne contre 18,76 milliards en France. Le sujet n’est donc pas le montant des moyens mis par la France dans l’éducation (au passage, nous dépensons près de 1 point de PIB de plus que les Allemands en dépense d’éducation), mais plutôt de comment ces moyens sont dépensés.

Si on se calait sur le même nombre de professeurs du public pour les premiers et seconds degrés en France qu’en Allemagne, on aurait environ 80.000 professeurs en moins, ce qui est tout à fait possible puisque environ 100.000 enseignants ne sont pas devant les élèves

Les professeurs allemands du collège et du lycée ont d’ailleurs, il faut le souligner, beaucoup plus d’obligations de permanences et de surveillance que les professeurs de France. Ils partent aussi plus tard à la retraite, travaillent un mois de plus sur l’année scolaire et sont obligés d’assurer jusqu’à 3 heures de remplacement par semaine. Les enseignants allemands du second degré assurent également 23 heures de cours par semaine et n’ont pas le droit de grève s’ils sont fonctionnaires. Ainsi, si on se calait sur le même nombre de professeurs du public pour les premiers et seconds degrés en France qu’en Allemagne, on aurait environ 80.000 professeurs en moins, ce qui est tout à fait possible puisque environ 100.000 enseignants ne sont pas devant les élèves (une économie potentielle de 6 milliards d’euros par an).

Forts de ces constats, il est temps de demander à l’occasion du débat présidentiel une réelle transparence à la fois sur les moyens alloués par établissement (toutes dépenses confondues: État, collectivités, parents) et les résultats de ces établissements aux tests internationaux ou aux tests du ministère.

Le blocage est tel sur ces données que la seule solution pour avancer et viser une bonne allocation des moyens éducatifs est de proposer de régionaliser totalement et le plus vite possible la gestion de la politique d’éducation, comme c’est le cas d’ailleurs en Allemagne. Il est temps aussi de donner l’autorité hiérarchique des chefs d’établissement sur tout le personnel intervenant dans leur établissement, de leur permettre de gérer un vrai budget et de recruter des professeurs. Pourquoi cette proposition de bon sens ne serait valable que pour la ville de Marseille?

Le bon sens serait aussi, étant donné le coût inférieur du privé et les meilleurs résultats de ses élèves, de permettre à tous les élèves qui le souhaitent de pouvoir être scolarisés dans le privé. La règle coutumière du 80/20, qui limite drastiquement l’offre privée sous contrat à 20 %, doit sauter.

À terme, ces réformes permettraient de rationaliser les dépenses d’éducation de 10 milliards d’euros par an tout en dégageant une enveloppe de 6 milliards d’euros pour permettre aux chefs d’établissements d’être de vrais chefs, aux manettes des évolutions de salaires de leurs équipes.

Directrice de la Fondation iFrap, auteur de «La France peut-elle tenir encore longtemps?» aux Éditions Albin Michel.

L’étude par thèmes participe de la vaste déconstruction en cours de la nation française.

Une tribune de Jean-Michel Castaing parue le 14 juillet 2021 dans le magazine Causeur ICI

Pour passionner les jeunes Français au passé de leur pays, rien de tel que de revenir à l’enseignement  chronologique de l’histoire de France. C’est à cette condition qu’ils redécouvriront le génie de leur nation.

L’histoire instrumentalisée à des fins idéologiques

Depuis des décennies, les gourous de l’Éducation nationale ont décidé d’enseigner l’histoire à nos enfants d’après des « matières thématiques » au détriment de la chronologie des événements. C’est ainsi que les élèves ont été confrontés à des sujets d’étude universitaires avant même de savoir maîtriser le français…

Courbes, statistiques, tableaux, documents administratifs : qui peut se passionner longtemps pour des objets d’enseignement aussi desséchants ? Ou bien le professeur comparera la royauté capétienne avec une dynastie africaine en survolant allégrement les siècles et les continents… Dans ce cas, l’arrière-pensée idéologique se lit comme un palimpseste dans le  projet pédagogique cousu de fil blanc. L’histoire de France devient dès lors un simple prétexte pour formater subliminalement les cerveaux juvéniles dans le « sens de l’histoire »…

La mémoire se construit et se cultive avec des hommes, des récits et des passions

Les objections à l’enseignement chronologique sont toujours les mêmes : il s’agirait désormais de façonner des citoyens du monde, d’ouvrir les esprits, d’éviter le repli sur soi, de « sensibiliser » les jeunes aux autres cultures, de leur faire comprendre que la France s’est construite avec des apports extérieurs, ainsi que le débite religieusement le professeur au Collège de France Patrick Boucheron, grand pourfendeur de l’histoire identitaire avec son Histoire mondiale de la France (2017). Mais qui est dupe d’une telle entreprise et ne  perçoit pas dans cette rhétorique la marque d’une idéologie multiculturaliste ?

Surtout, cette histoire thématique est trop abstraite pour intéresser les jeunes. Quant à l’enseignement de l’histoire de France au travers du prime des problématiques actuelles (sexisme, racisme, colonialisme, esclavage), ses visées sont trop grossières pour pouvoir passer en contrebande bien longtemps. Visées malhonnêtes aussi parce que cet enseignement orienté fait peser tout le poids de la charge sur l’Occident, alors que toutes les civilisations ont été colonisatrices, esclavagistes, sexistes, patriarcales. À l’escroquerie intellectuelle se joint une partialité née du ressentiment et d’une volonté d’en découdre avec le passé qui sont tout sauf scientifiques.

Se situer dans le temps

Les raisons d’en revenir à une histoire chronologique sont nombreuses. La première réside dans la facilité qu’elle offre aux jeunes de se situer dans le temps. Le présentisme actuel (le fait de ne plus vivre que dans l’instant présent et d’avoir perdu la notion de l’épaisseur historique des êtres et des choses) n’est pas propice à développer en eux la conscience de leur appartenance à un devenir qui court sur des siècles. Résultat : les jeunes Français ignorent d’où ils viennent et par conséquence qui ils sont. Pire, le magistère du « politiquement correct » leur fait un crime de cultiver leur identité, comme si le nec plus ultra du progrès résidait dans une existence d’ectoplasme sans racine ni attachement charnel à une patrie et à ses mœurs et dans l’élan de se faire hara-kiri afin de laisser toute place à l’Autre…

Face à ce rouleau compresseur débilitant et annihilateur, le retour en grâce de l’histoire chronologique permettrait aux élèves de se situer dans une continuité historique de destinée, de renouer avec le sens de la profondeur temporelle de leur pays, de leur apprendre qu’ils sont les enfants d’une généalogie et non les fruits d’une génération spontanée. Les jeunes Français, en situant saint Louis et Louis XVI dans le temps, n’auraient aucune chance de les confondre. La confusion dans les esprits commence en effet par celle des représentations du passé. De plus, un récit chronologique favorise l’intelligibilité de l’histoire. À l’inverse, son étude par « thèmes » brouille les cartes, atomise le devenir et finalement ne donne plus les moyens de faire la différence entre Charlemagne, Napoléon et Hitler…

Mieux comprendre la genèse et la spécificité de la France

L’histoire chronologique, en inscrivant notre époque dans une succession temporelle d’événements et de grands hommes, aide l’élève à se réapproprier le récit national. Il comprend mieux de la sorte le génie français. Car la France n’a pas été créée par les principes abstraits de 1789 et ne se réduit pas aux « valeurs de la République ».

Elle vient de plus loin : de la colonisation romaine, de la conversion de Clovis, du génie unificateur de Charlemagne, de la patience capétienne à « agrandir le pré carré » du domaine royal. Le récit chronologique dresse ainsi le panorama d’un pays qui s’est construit par la volonté de monarques successifs. La France est une œuvre politique avant d’être une « ethnie » ou une « race ».

Or, cette spécificité, seul le déroulé des événements permet de l’appréhender.

Cultiver la mémoire et la curiosité

De plus, l’histoire chronologique suscite davantage la curiosité qu’une histoire thématique abstraite. Il est plus ludique d’apprendre les batailles, les hauts faits d’un règne, les intrigues de cour que les tableaux de statistiques ! Les tableaux, les chiffres, les courbes, les termes abstraits, ça ne se retient pas. La mémoire se construit, se cultive avec des hommes, des récits, des passions, des amours, des renversements de situation, des volontés, des grands hommes. Comment comprendre la détestation dont Marie-Antoinette fut l’objet si on n’a pas appris que la lutte contre la maison d’Autriche a été l’invariant de la politique étrangère de la France depuis Richelieu avant d’être remise en cause sous Louis XV ?

De plus, l’élève est assez grand pour se rendre compte que la guerre au Moyen-Âge ou à la Renaissance, du temps de François 1er, est différente de celle des Temps Modernes, celle de 14-18 ou de 39-45. Au rebours de ce que pensent les pédagogistes, la chronologie n’abolit pas l’intelligence… Elle donne au contraire la possibilité de mieux appréhender l’évolution des mœurs, des pratiques politiques, de la guerre et de la paix. Par contraste, l’étude par thèmes brouille les repères et fait tout mélanger en  n’orientant plus ni dans le temps ni dans l’espace.

Un signe du nihilisme contemporain

Enfin, le rejet de l’histoire chronologique est un signe – parmi d’autres – de la prégnance du nihilisme dans les esprits. Les grands hommes, les grands événements, les grandes découvertes, les grands desseins poursuivis par-delà les générations, tout cela est passé par-dessus bord. Seules subsistent dans le récit les vilenies, les atrocités et la domination de l’Occident honni. D’après les nouveaux maîtres de l’histoire, la nôtre est soit criminelle, soit aussi triviale qu’un livre de comptes. Dans tous les cas, ne surnage plus que le rien, le sordide ou le mal. Il est temps d’en finir avec cette histoire-repentance et de renouer avec la trame des événements et des grands hommes dont nous n’avons pas à rougir, sans faire l’impasse toutefois sur les ombres ni la condition précaire des classes populaires.

L’intelligence collective aura tout à gagner à ces retrouvailles avec notre génie. Nous devons bien cela à nos enfants, hypnotisés par leurs Iphones et qui se demandent ce qu’ils ont en commun les uns avec les autres, hormis leur addiction numérique… La France ne s’est pas faite en un jour. Le récit chronologique de notre roman national, loin d’être un bourrage de crâne ou une entreprise de franchouillardise étroite et obtuse, constitue au contraire la meilleure initiation au génie français. Car le génie, que ce soit celui des individus ou des nations, se développe toujours avec le temps, dans la durée. Et comment les jeunes en prendraient-ils conscience si l’enseignement de l’histoire leur occulte la dimension temporelle de celui de notre nation ?

Par Catherine Lucquiaud, docteur en informatique et chargée des questions numériques à la Fondation pour l’école

Il y a déjà vingt ans que nous avons quitté le XXe siècle des deux premières guerres mondiales pour entrer pleins d’espoir dans le XXIe et découvrir déconcertés que les guirlandes clignotantes ne font pas Noël. Le bruit déjà assourdissant de la diversion enfle sans cesse, les slogans imbéciles enivrent, la course à l’innovation devient frénésie. La liberté individuelle s’étiole, emprisonnée dans un carcan qui se resserre à présent de semaine en semaine. Son exercice devient difficile, l’apathie gagne, la sclérose menace…

Pourtant, il y a un peu plus d’un siècle, l’école républicaine était censée offrir à tous l’émancipation intégrale par l’accès à la connaissance : connaissance des savoirs humains accumulés par des siècles de civilisation, connaissance de soi et de l’autre par une vie sociale élargie et enrichie. L’une et l’autre devaient développer conjointement la capacité de chacun à prendre en main son destin, à faire des choix libres et éclairés, à tailler et polir sa pierre pour consolider l’édifice démocratique commun. L’idée était belle, source d’espoirs infinis : à travers l’institution scolaire, l’état promettait à chacun, quels que soient son milieu social et ses moyens financiers, de pouvoir bénéficier de l’éducation de qualité qui lui offrirait enfin la vraie liberté.

Certes, l’école gratuite, laïque et obligatoire de Jules Ferry n’a jamais été totalement désintéressée. Même sans l’avouer directement, elle visait avant tout à former de bons citoyens, dégagés de l’influence excessive de l’église et capables de participer activement à l’essor de la nation par l’industrialisation.

Il n’en reste pas moins que, pendant près d’un siècle, l’école publique a bon gré mal gré répondu aux attentes suscitées par les discours politiques. Se donnant les moyens de ses ambitions, trouvant finalement, fût-ce par hasard, un équilibre assez juste entre exigence pragmatique dans la formation des futurs enseignants et liberté pédagogique dans l’exercice de leurs fonctions, l’institution scolaire a globalement tenu ses promesses. Assez en tout cas pour générer des vocations sincères de professeurs et pour que de nombreux parents qui avaient les moyens d’assurer l’instruction de leurs enfants à domicile ou dans des établissements privés fassent librement pour eux le choix de l’école publique et s’en estiment satisfaits pendant toute leur scolarité.

Tous ceux qui souhaitaient néanmoins, quelle qu’en soit la raison, offrir à leurs enfants une éducation différente en conservaient cependant la possibilité, des garde-fous effectifs permettant de limiter les cas, rarissimes, de dérives de toute nature. Dans les faits, sans être proclamée comme telle, l’école a donc été a priori une « école de la confiance », de l’état envers ses concitoyens. Confiance accordée aux enseignants quant à leurs compétences et leur engagement au service des élèves, confiance accordée aux parents quant à leur volonté et leur capacité de faire des choix conformes aux intérêts de leurs enfants. Pour l’essentiel, en matière d’éducation comme de santé, l’état proposait, mais les familles et les individus pouvaient encore disposer, au moins dans une certaine mesure. Le principe de subsidiarité était beaucoup moins évoqué mais nettement plus respecté qu’il ne l’est aujourd’hui.

Quelques décennies auront sérieusement mis à mal un équilibre aussi fragile que précieux. Inlassablement dénoncé depuis les années 90, souvent de l’intérieur par les enseignants eux-mêmes, longtemps nié contre toute évidence, le douloureux naufrage organisé de l’éducation nationale aura finalement été rendu manifeste par les enquêtes internationales successives PISA et TIMSS.

En attendant qu’une institution à laquelle chacun était attaché retrouve ses esprits, parents, enfants et professeurs, parfois titulaires de l’éducation nationale, ont pu se tourner avec soulagement vers les écoles indépendantes ou l’instruction en famille. Le nombre de créations d’écoles alternatives a en effet connu une augmentation constante au cours des dix dernières années, accueillant des élèves aux profils variés, parfois issus de milieux sociaux défavorisés, grâce à la diversité des pédagogies et des conditions proposées aux familles. Des structures à taille humaine, très majoritairement initiées et portées par de petits groupes de parents et d’enseignants soucieux avant tout de l’intérêt des enfants et capables d’assumer des choix pédagogiques en conséquence. Des structures « agiles » et « en lien direct avec le terrain » suffisamment motivantes pour les équipes éducatives au point qu’elles acceptent souvent une charge de travail plus importante et des salaires inférieurs à ceux pratiqués au sein de l’éducation nationale, pourtant déjà considérés comme peu attractifs. Des structures dont, pour toutes ces raisons, les ministres de tous bords qui se sont succédé rue de Grenelle auraient pu s’inspirer avec profit, pour refonder l’éducation nationale sur des bases locales, en s’appuyant sur les principaux intéressés que sont les parents d’élèves et les enseignants.

Une autre voie a cependant été imposée. Malheureusement, si la confiance s’accorde et se mérite, elle ne se décrète pas. Bafouée, elle peut même générer une défiance légitime.

Alors qu’ont été largement avancés les arguments de la continuité pédagogique « en distanciel » et de la souveraineté éducative du pays face aux GAFAM/BATX (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft/Baidu-Alibaba-Tencent-Xiaomi) pour justifier la disparition des manuels scolaires et le recours massif aux EdTech françaises de la maternelle à l’université, il est déplaisant de constater, pour quiconque creuse un peu le sujet, d’une part que la crise de la Covid-19 n’a fait qu’accélérer des transformations déjà décidées en amont, d’autre part que les orientations en principe choisies par la République française en matière d’éducation respectent en tous points non seulement les préconisations détaillées de l’Union européenne, mais également celles de l’UNESCO.

Ainsi les propositions issues du Conseil scientifique de l’Éducation nationale (mis en place début 2018 par Monsieur Blanquer), des états généraux du numérique ou du Grenelle de l’éducation (organisés entre juin et décembre 2020 par le ministère de l’éducation nationale), loin d’avoir fait l’objet de débats réellement ouverts, n’ont-elles fait qu’enregistrer les objectifs préalablement fixés par l’Europe (via la Stratégie de Lisbonne en mars 2000 puis la Stratégie Europe 2020 en juin 2010) et par l’UNESCO.

Souveraineté éducative, certes, mais à l’échelle internationale : la France ne décide plus, elle s’aligne ; elle n’invente plus, elle copie sur ses voisins.

Sous le titre « Planifier l’éducation à l’ère de l’IA : un bond en avant », une conférence s’est tenue du 16 au 18 mai 2019 à Beijing, organisée par l’UNESCO et le ministère de l’éducation de la République populaire de Chine. Accueillant « plus de 500 participants de plus de 120 états membres, dont 70 ministres », elle a consisté en un véritable plaidoyer pour renforcer l’usage éducatif de l’IA et « développer les compétences destinées à permettre aux hommes de s’adapter à une société où l’IA a toute sa place ».

Faut-il encore s’interroger sur l’origine du soudain engouement de l’institution scolaire pour l’IA en dehors de tout débat véritablement contradictoire ? Et pour les parents qui souhaiteraient éviter ce monde de cauchemar à leurs enfants en les ouvrant à d’autres rêves, ne reste désormais plus que l’espoir de tomber sur un des derniers professeurs encore en mesure de résister au sein de l’institution, ou l’enseignement hors-contrat.

Pour combien de temps, maintenant qu’a été pratiquement supprimée la liberté d’instruction en famille dont chacun pouvait jusqu’ici bénéficier ? Comme l’a démontré Bernard Charbonneau avec une lucidité implacable dans son ouvrage central (L’état, écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale mais publié en 1980), la tendance irrépressible de l’état est de devenir totalitaire. L’état communiste, l’état national-socialiste ou l’état fasciste n’étaient peut-être que différents symptômes d’un même mal, qui constituent a posteriori autant de prétextes idéologiques confortables pour permettre à chacun de disqualifier hâtivement, selon ses goûts, l’idée même de communisme, de socialisme ou de libéralisme, avec autant de facilité que de bonne conscience.

Après les travaux de Léopold Kohr (L’effondrement des puissances) et d’Olivier Rey (Une question de taille), il n’est pas déraisonnable d’envisager que l’origine du problème puisse résider davantage dans la taille de l’organisation et sa volonté de puissance que dans la doctrine affichée. Sachant que les risques identifiés à l’échelle d’une nation prennent logiquement une ampleur d’autant plus grande à l’échelle d’un continent ou du monde, le temps semble venu de se poser quelques questions : en matière d’éducation, où s’exerce en France, en 2021, la souveraineté de l’individu, de la famille, du peuple ? Une gouvernance européenne ou mondiale de l’éducation est-elle réellement souhaitable ? Qui doit en décider et sur quelle base ? Qui doit s’y conformer et au nom de quoi ?

La normalisation des prises électriques ou des chargeurs de téléphones est sans doute une bonne chose. Celle des fruits, des légumes ou des fromages de terroirs est loin de faire l’unanimité tant elle a donné lieu à des dérives regrettables. Celle des dispositifs éducatifs serait dramatique, à plus forte raison à l’échelle planétaire. L’égalité des hommes ne passe pas par l’uniformisation. La vigilance indispensable doit parfois s’exercer ailleurs que là où on se complaît à l’assigner : une société digne, une démocratie véritable sont à ce prix.

TRIBUNE – Pour le directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm et essayiste, le premier confinement a révélé que l’enseignement numérique ne pouvait être que temporaire et de courte durée. Car il favorise le décrochage des élèves et accroît les inégalités.

Par Alexandre Devecchio, Publié le 31/03/2021 ICI.


Michel Desmurget est l’auteur de La Fabrique du crétin digital (Seuil, 2019).


Notre monde marche décidément sur la tête. Depuis des années, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, amplifie, organise et promeut avec une rare opiniâtreté la numérisation du système scolaire.

Pourtant, aujourd’hui, à l’heure où cette démarche pourrait prendre tout son sens, notre homme recule. Il se cabre, proteste et affiche sa ferme volonté de maintenir ouvertes les écoles, aussi longtemps que possible. Ce choix relève, nous expliquent nombre de ténors de la majorité présidentielle, d’une triple nécessité humaine, pédagogique et de justice sociale.

Nul ne peut le contester, tant cette conclusion est conforme à l’ensemble des données scientifiques disponibles. L’enseignement numérique, qu’il soit opéré en présentiel ou en distanciel, n’est toujours qu’un piètre pis-aller.

Alors, oui, Jean-Michel Blanquer a parfaitement raison, fermer les écoles doit constituer une décision d’ultime recours. Si la mesure est prise, il faut en circonscrire la durée autant que faire se peut et il faut reconnaître que l’opération ne sera pas sans coût pour nos enfants, notamment les moins favorisés.

Mais, dire cela, c’est quasiment articuler un truisme. Au fond, ce qui est ici intéressant, c’est avant tout la dimension quasi schizophrénique des politiques éducatives défendues : d’un côté on vante et développe massivement l’enseignement numérique ; de l’autre on s’inquiète de ses impacts profondément négatifs et inégalitaires.

Un article publié il y a quelques années par un économiste français laisse à penser que la solution se trouve, encore une fois, dans les méandres de la nécessité économique. Évaluant le risque politique de diverses mesures de contraction budgétaires susceptibles d’être mises en place dans certains pays en développement, cet ancien cadre dirigeant de l’OCDE, soulignait «qu’il fallait veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants».

La médiation numérique n’est utile que quand elle est placée entre des mains humaines expertes… pas quand elle est mobilisée pour remplacer ces mêmes mains, comme c’est actuellement le cas

C’est à peu près ce qui se passe avec l’actuelle numérisation du système scolaire. En effet, celle-ci opère ses méfaits à bas bruit. Les dégâts interviennent loin des yeux parentaux. En outre, la pente est suffisamment subtile et progressive pour ne pas être directement perceptible. C’est d’autant plus vrai que l’affaire s’accompagne de grilles d’évaluations toujours plus accommodantes et d’un joli package promotionnel.

À l’arrivée, le gain est double: d’une part, les parents sont ravis de voir leurs enfants ainsi projetés dans l’ère de la modernité éducative ; d’autre part, les difficultés budgétaires et de recrutement trouvent une issue partielle (car, même si le processus de numérisation coûte cher, son déploiement reste bien plus économique que le recrutement de «vrais enseignants» solidement formés et qualifiés).

Cela ne veut pas dire bien sûr qu’un professeur ne peut pas s’appuyer sur certains supports digitaux qu’il juge appropriés. Cela signifie simplement que la médiation numérique n’est utile que quand elle est placée entre des mains humaines expertes… pas quand elle est mobilisée pour remplacer ces mêmes mains, comme c’est actuellement le cas.

Tout change évidemment lorsque l’on ferme les écoles. Dans ce cas, la dégradation n’advient plus à bas bruit dans le cocon scolaire. Elle éclate au grand jour. Placé aux premières loges, l’adulte voit bien que les outils proposés aux enfants relèvent d’une véritable parodie éducative. Il voit bien que les supports mis en place sont peu individualisés, motivants et efficaces. Il voit bien que l’affaire ne fonctionne que si un parent s’intronise pseudo-prof. Certes, en période de confinement, mieux vaut cela que rien. Mais l’expérience n’est pas sans bousculer les discours prosélytes si chers aux hagiographes de la cause numérique.

Depuis dix ans, des milliards d’euros d’argent public ont été investis, sans que personne ne s’occupe vraiment des problèmes de contenus

Les deux derniers rapports de la Cour des comptes sont de ce point vue tout à fait fascinants. En 2019, cette institution dénonçait une gabegie financière, centrée sur l’achat de terminaux mobiles et dépourvus de toute réflexion pédagogique.

En 2021, rebelote avec la parution d’un rapport relatif à la continuité scolaire pendant le confinement. Derrière une façade verbale joliment policée, le constat s’avéra sans appel: difficultés matérielles, notamment pour les enfants défavorisés (ordinateur, connexion internet, promiscuité domestique, etc.) ; manque de formation des enseignants ; problème d’autonomie et de motivation des élèves (en particulier pour les plus jeunes) ; risque de décrochage accru chez les individus les plus fragiles ; manque de maîtrise des «compétences numériques de base» (y compris chez les adolescents) ; et, surtout, absence accablante d’outils pédagogiques structurants.

Comme l’explique le rapport, «les fonctions de simple communication ont prédominé. (…) La poursuite des programmes et l’acquisition de nouvelles connaissances ou compétences a été minoritaire». Cela signifie que, depuis dix ans, des milliards d’euros d’argent public ont été investis, sans que personne ne s’occupe vraiment des problèmes de contenus.

Bien sûr, la Cour des comptes tâche d’arrondir un peu les angles en se livrant à l’interminable jeu du «en faisant toujours plus de la même chose on finira bien par obtenir un meilleur résultat». Dans ce cadre elle propose sagement quelques solutions mille fois réitérées. Il faudrait investir, former, innover, etc.

Curieusement, jamais les auteurs ne questionnent le dogme numérique lui-même. Jamais ils ne se demandent, ce qui est pourtant leur raison d’être, si les budgets disponibles ne pourraient pas être plus efficacement alloués (soutien scolaire, recrutements, revalorisations salariales, etc.).

Jamais ils ne considèrent la possibilité que les expériences négatives empilées depuis vingt ans aux quatre coins du monde traduisent moins un problème de dosage que l’infériorité structurelle des outils numériques pédagogiques.

Ainsi, au final, confronté à l’expérience du premier confinement, il n’est pas surprenant que nos décideurs, dont Jean-Michel Blanquer, soient réticents à l’idée de fermer à nouveau les écoles. Le désastre de tous ces plans numériques, vanté avec acharnement depuis plus de vingt ans, se fait alors bien trop visible pour ne pas être politiquement dangereux.

Jean-Paul Brighelli, agrégé de lettres modernes, est un enseignant et essayiste français.

Auteur de nombreux ouvrages, il a été révélé au grand public lors de la sortie en 2005 de son livre : « La fabrique du crétin » où il fustige l’effondrement du système éducatif français.


Le Ministère de l’éducation nationale a annoncé le jeudi 18 février à la Fondation pour l’école lors d’un entretien que les établissements «hors contrat» seraient soumis à un bac plus difficile et contraignant.
Pour Hervé Rolland, Président de la Fondation, cette mesure discrimine et méprise les élèves d’établissements indépendants, en plus de constituer un risque sanitaire pour eux, en cette période de Covid.


En choisissant de soumettre les lycées des établissements indépendants, dits «hors contrat» à un bac spécifique, plus difficile et contraignant que celui qu’auront à passer les élèves du public ou du privé sous contrat, Jean-Michel Banquer ne rend pas justice au travail des enseignants et des élèves de ces lycées.

En outre, sa décision est contre-productive pour les établissements d’enseignement supérieurs qui savent la qualité académique de la très grande majorité des élèves qui sortent des lycées indépendants ; ils devront probablement patienter pour identifier ces élèves et leurs établissements d’origine (tant que cela est encore possible…) dans le cadre de Parcoursup.

Après un rendez-vous avec le Ministère le jeudi 18 février, les craintes de la Fondation pour l’école se confirment effectivement pour le Bac 2021 de ces élèves.

«Jean-Michel Banquer ne rend pas justice au travail des enseignants et des élèves des lycées indépendants» selon Hervé Rolland. 

Bien qu’ils soient, comme les autres, touchés de plein fouet par la crise sanitaire, le bénéfice du contrôle continu leur est refusé contrairement à leurs homologues de l’enseignement public ou privé sous contrat. Ils devraient apprendre seulement dans les prochains jours de manière officielle que les épreuves de spécialité, qu’ils devaient passer à la mi-mars, sont finalement annulées. Annulées? Oui et non, car elles seront en fait reportées pour la mi-juin!

Pour mémoire, ces mêmes épreuves de spécialité ont été annulées pour les élèves du public et du sous-contrat. Eux en ont été informés il y a plusieurs semaines. Mais surtout, pour eux et seulement pour eux, ces épreuves ne sont pas reportées mais remplacées par les moyennes de leurs bulletins scolaires!

La liberté de l’enseignement doit-elle se payer au prix de la santé tant physique que morale d’une catégorie d’élèves qui semble oubliée voire méprisée en l’espèce ?

Pourquoi ? Pour «permettre aux élèves et aux professeurs de préparer sereinement les épreuves de juin et la suite de leurs études supérieures et de disposer d’une plus grande prévisibilité sur la deuxième moitié de l’année scolaire dans un contexte sanitaire incertain.» (extrait du site du Ministère de l’éducation nationale).

À ce jour les élèves du hors-contrat, scolarisés dans des établissements scolaires indépendants régulièrement déclarés et contrôlés, se sont inscrits en début d’année pour obtenir, comme les autres, le diplôme national du baccalauréat. Contrairement aux autres candidats qui sont scolarisés en établissements public ou privé sous contrat, ils n’auront cependant droit ni à la sérénité, ni à la prévisibilité. Le seul droit qu’on leur reconnaîtrait aujourd’hui serait-il celui de garder leurs incertitudes liées à la crise sanitaire ?

Cette discrimination est-elle acceptable ? Cette inégalité de traitement est-elle seulement audible ? Pense-t-on réellement que les élèves des lycées indépendants bénéficieraient d’une immunité collective face au virus ? Ou plutôt considère-t-on que la liberté de l’enseignement doit se payer au prix fort : au prix de la santé tant physique que morale d’une catégorie d’élèves qui semble oubliée voire méprisée en l’espèce ?

Pendant que les élèves de terminale du public et du privé sous-contrat auront, pour obtenir leur baccalauréat général ou technologique, à réviser les seules épreuves du grand oral et de philosophie, qui seront donc leurs seuls examens de toute l’année scolaire 2020-2021, les élèves de terminale du privé hors-contrat auront, quant à eux, à réviser, en plus du grand oral et de la philosophie, l’histoire-géographie (programmes de première et terminale!), l’enseignement scientifique ou les mathématiques (programmes de première et terminale!), leurs deux langues vivantes (programmes de première et terminale!) ainsi que leurs deux épreuves de spécialité.

Et d’ailleurs, qui les corrigera ? Des enseignants du public et du privé sous contrat qui apprécieront moyennement ce travail qui leur sera demandé en plus alors qu’ils n’auront pas été mobilisés pour leurs propres élèves…

Ces mêmes élèves du hors-contrat n’auront pas leurs matières optionnelles à réviser. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle. En effet, là encore, pour ces seuls élèves, qu’ils suivent des cours de maths experts, de musique ou de langues anciennes, aucune de leurs options ne sera prise en compte pour l’obtention de leur bac: une discrimination de plus à leur égard.

Pour obtenir leur baccalauréat cette année, les élèves de terminale du hors-contrat devront donc présenter 8 épreuves, tandis que les élèves du sous contrat et du public n’en auront que 2 !

Ainsi, pour obtenir leur baccalauréat cette année, les élèves de terminale du hors-contrat devront donc présenter 8 épreuves (dont la moitié recouvrent les programmes de première et de terminale) à passer entre mai et juin tandis que les élèves du sous contrat et du public n’en auront que 2 ! En termes de coefficients, le bac 2021 des uns s’obtiendra avec 85 % d’épreuves tandis que le bac des autres s’obtiendra quasi exclusivement sur la base de leurs bulletins scolaires de terminale avec 82 % de contrôle continu!

Ce diplôme du baccalauréat, pourtant national, tel qu’il se profile aujourd’hui aurait donc deux visages bien différents pour des candidats, pourtant tous issus d’établissements scolaires déclarés et reconnus.

Pour le ministre, ce choix d’un traitement discriminatoire serait motivé par des défaillances constatées dans une petite minorité de lycées hors contrat. Pourtant, tous les dossiers d’élèves issus des établissements indépendants sont analysés par les jurys académiques ; ne peut-on leur faire confiance pour apprécier le réel niveau académique des élèves à l’aune de l’établissement dont ils proviennent?

Pour le bac 2020 post confinement, le contrôle continu des lycées des établissements indépendants avait été pris en compte ; les choses s’étaient bien passées et les jurys avaient même rehaussé les notes (issues du contrôle continu) des élèves à l’aune des excellents résultats du bac de l’année précédente. Pourquoi donc revenir, cette année, sur une mesure qui a été appliquée de façon satisfaisante l’année dernière ?

À l’heure où le respect des principes républicains est sur toutes les lèvres, qu’en est-il de l’égalité des chances devant un examen national ? Comment ces élèves de la République pourront-ils comprendre et accepter une telle discrimination, qui plus est dans ce contexte sanitaire particulièrement hostile ? Liberté, égalité, fraternité ?

Par Raphaël Pasquini, AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)

Très récemment, Lorène, une enseignante avec laquelle nous collaborons dans le cadre d’une recherche, nous a invités dans sa classe pour observer comment se déroulait une évaluation de compréhension de l’écrit. Ses élèves de première année du secondaire ont commencé par se mettre par deux, et pendant vingt minutes, ils ont partagé leur compréhension des Métamorphoses d’Ovide, selon des consignes précises.

Ils ont pu confronter leur façon d’aborder différents points, répondre aux questions de leur pair, justifier leurs réponses. Ils ont aussi eu chacun l’occasion de solliciter l’aide de l’enseignante une fois, ce que la plupart ont fait. Ensuite, ils ont effectué leur travail individuellement en répondant aux questions par écrit, comme d’habitude.

Lorsque mon collègue et moi-même avons demandé à l’enseignante pourquoi elle procédait de la sorte, elle a répondu : « Je veux les amener à comprendre que, même dans une évaluation qui vaut pour une note importante pour eux, il y a de l’espace pour apprendre encore, et parfois même avec l’un de leurs camarades, cela instaure un climat de confiance entre eux et moi très bénéfique ».

Faire de l’évaluation un levier

Dans les faits, cette pratique n’est pas courante : des études issues de différents contextes montrent que les pratiques évaluatives ressemblent aujourd’hui encore furieusement à celles qu’ont connues nos grands-parents, centrées sur les notes et les moyennes.

Pourtant, ce que fait cette enseignante s’inscrit pleinement dans l’orientation en évaluation dans laquelle la grande majorité des systèmes éducatifs de l’OCDE s’inscrivent, certains depuis la fin des années 1990 et en France depuis 2014, pour juguler le taux d’échec scolaire et le décrochage des jeunes, toujours trop importants : l’évaluation-soutien d’apprentissage.

L’idée est simple en apparence : toute démarche d’évaluation fait partie de la pratique quotidienne, doit être prioritairement au service des apprentissages, et devient alors un outil puissant pour amener le plus grand nombre d’élèves à leur meilleur niveau.

Et si l’on amenait les élèves à « comprendre que, même dans une évaluation qui vaut pour une note importante pour eux, il y a de l’espace pour apprendre encore, et parfois même avec l’un de leurs camarades ».
Max Fischer/Pexels, CC BY

La réalité nuance toutefois cette idée : cette conception de l’évaluation est d’une grande complexité, notamment car elle entre en rupture avec la conception classique que nombre d’enseignants et de décideurs ont de l’évaluation scolaire, à savoir qu’évaluer se réduit à faire passer des tests.

Se pose alors l’épineuse question de déterminer comment l’évaluation-soutien d’apprentissage pourrait dépasser les prescriptions et se concrétiser dans les classes, tous degrés et disciplines confondus. Pour cela, il est intéressant de se tourner vers les systèmes qui travaillent à sa mise en œuvre depuis plusieurs années, comme en Scandinavie ou au Royaume-Uni : les analyses dont nous disposons révèlent des axes de travail intéressants.

Il n’y a pas que les notes

Si l’on considère que l’évaluation consiste à prendre des informations sur des apprentissages en cours, à interpréter ces informations au regard d’attentes claires, à prendre des décisions en cohérence avec ces interprétations et à les communiquer aux élèves, les enseignants passent un temps considérable à évaluer.

Le problème est qu’ils n’en sont pas toujours conscients, car pour un grand nombre d’entre eux, tant qu’il n’y a pas de note, l’évaluation est inexistante ou inefficace.

L’enjeu est alors d’expliciter ces pratiques existantes et de montrer que même informelles, elles peuvent servir l’apprentissage. Par exemple, observer ou interagir avec des élèves sur un obstacle qu’ils rencontrent et leur faire des retours constructifs de manière guidée pour qu’ils progressent, c’est déjà évaluer.

Nous savons toutefois aujourd’hui que, si les enseignants n’adhèrent pas aux valeurs inclusives de cette vision de l’évaluation, il n’y a pratiquement aucune chance pour que leurs pratiques en épousent un quelconque contour. Pire : lorsque les principes de l’évaluation-soutien d’apprentissage ne sont pas compris, les pratiques se réduisent à des démarches superficielles et techniques. Il est alors important de faire un travail en formation au niveau des croyances des enseignants, en partant de leurs questions et problèmes, et non de privilégier des modèles injonctifs « venant du haut », dont l’inefficacité a été démontrée depuis longtemps.

Former les enseignants

Plus globalement, c’est toute la formation à l’évaluation qui doit être intensifiée, dans les universités et dans les écoles. Au Québec par exemple, la formation prépare peu les enseignants en devenir à l’évaluation des apprentissages, la plupart des programmes ne comprenant que 3 ou 4 crédits sur un total de 120 !

Le constat vaut pour d’autres systèmes, des États-Unis à la Grande-Bretagne, en passant par la France ou la Suisse romande, où les modules traitant d’évaluation au secondaire sont même parfois facultatifs. Sans parler de la formation continue, qui reste très lacunaire dans le monde de l’enseignement.

Par ailleurs, rien ne pourra évoluer positivement sans que les responsables d’établissement ne soient également formés dans ce champ. En effet, comme dirigeants pédagogiques, ils sont des facilitateurs clés d’un possible changement, car ils peuvent donner la confiance et les moyens nécessaires à leur corps enseignant pour que cette évaluation se concrétise.

Nous savons enfin que les tests externes, dont la fréquence a augmenté partout, constituent l’une des principales menaces pour la faisabilité de l’évaluation-soutien d’apprentissage. Les pressions que ces tests exercent sur les écoles motivent les enseignants à définir en priorité le rythme de travail en fonction de la vérification du contenu du test. Ils se sentent dès lors obligés d’opter pour cette logique en raison de son lien avec les mécanismes de responsabilité et de la pression publique qui y est associée, et cela même si c’est en incohérence avec leurs valeurs. Les enseignants sont ainsi soumis à un conflit de rôles et à un sentiment de déprofessionnalisation.

Vision démocratique

Les détracteurs d’une telle approche sortent régulièrement du bois, avec leurs arguments ressassés : nivellement par le bas, deuil des savoirs, ou encore perte des valeurs de l’école comme lieu de préparation à la « vraie vie ». Et pourtant. Lorène a constaté que, malgré ses pratiques innovantes, l’échec est toujours d’actualité pour certains. Mais, maintenant, elle sait mieux sur quels contenus revenir pour faire progresser ces élèves qui, de leur côté, mis en confiance, voient qu’il est possible de progresser et s’engagent alors mieux dans l’apprentissage. Certes, c’est un travail de longue haleine, mais appréhender la complexité avec exigence demande du temps.

Les principes de l’évaluation-soutien d’apprentissage privilégient une vision plus démocratique que sélective de l’évaluation, visent à respecter l’égalité de traitement des élèves. L’enjeu est maintenant de déterminer les conditions réalistes de sa mise en œuvre, en tenant compte des différents contextes éducatifs.

Les collaborations entre chercheurs et décideurs qui ont cours actuellement dans de nombreux systèmes scolaires vont donc devoir se conjuguer avec les ressources indispensables que ces derniers pourront mettre à disposition pour que l’évaluation à l’école serve l’apprentissage avant tout. Ce n’est plus une question de choix, mais une priorité.The Conversation


Raphaël Pasquini, Professeur HEP (Haute école pédagogique du canton de Vaud) associé en évaluation certificative des apprentissages, en évaluation formative et dans les processus d’orientation scolaire, AUF (Agence Universitaire de la Francophonie)


 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Courant février, le ministère de l’éducation nationale devrait annoncer les mesures sur le métier d’enseignant décidées à la suite du Grenelle de l’éducation. L’économiste Asma Benhenda apporte son éclairage sur les principales propositions issues des discussions ayant eu lieu depuis novembre.

Cet entretien est paru dans « Le Monde de l’éducation », consultez l’article dans son contexte original en cliquant ICI.

Jean-Michel Blanquer l’avait promis avant que la crise sanitaire ne vienne bousculer l’agenda : la deuxième partie du quinquennat serait consacrée à la « carrière » des enseignants. Fin janvier, les différents ateliers du Grenelle de l’éducation avaient à peine remis leur copie que le site d’information spécialisée Cafepedagogique.net s’alarmait des « recommandations explosives » qui en sont issues. Ce qui n’est pour l’instant qu’une « synthèse » des discussions ayant eu lieu depuis novembre entre les participants du Grenelle doit donner lieu, mi-février, à des annonces sur « une évolution profonde du système éducatif et des métiers des personnels ». Tour d’horizon des principales « idées » du Grenelle avec Asma Benhenda, économiste spécialiste de l’éducation et autrice de Tous des bons profs – Un choix de société (Fayard, 2020).

Comment analysez-vous les « propositions » des différents ateliers du Grenelle de l’éducation ?

Je ne suis pas particulièrement surprise. Elles vont dans le sens de la philosophie générale du programme « éducation » d’Emmanuel Macron en 2017 et de la politique, plutôt libérale, menée par Jean-Michel Blanquer au ministère de l’éducation nationale depuis près de quatre ans. Plus d’autonomie pour les établissements scolaires, part variable de la rémunération des enseignants, renforcement du pouvoir des chefs d’établissement, recrutement d’une partie des enseignants sans passer par le « mouvement national », etc. ; ces idées sont dans l’air du temps et font débat un peu partout au niveau international.

Les enseignants, qui étaient dans la rue le 26 janvier, estiment insuffisants les 400 millions d’euros annoncés à l’automne pour revaloriser le métier. A quelle hauteur devrait, selon vous, monter cette revalorisation à laquelle le Grenelle consacre plusieurs propositions ?

Il y a, derrière cette question fondamentale, celle de l’attractivité du métier. Le niveau de qualification et de recrutement des enseignants a augmenté ces vingt dernières années sans réelle contrepartie salariale, exacerbant ainsi la crise des vocations.

Afin que les étudiants ne choisissent pas une autre voie plus « rémunératrice », il est urgent de réduire le manque à gagner ou « coût d’opportunité » du choix du métier d’enseignant, en alignant le salaire des nouveaux professeurs sur le salaire médian des autres titulaires d’un bac + 5. En théorie, cela représenterait une hausse d’au moins 4 600 euros brut par an, soit environ 384 euros brut par mois. Les 100 euros net supplémentaires par mois annoncés dans le cadre du plan de revalorisation sont un bon point de départ mais il faut aller plus loin, ce qui n’est pas gagné avec la crise sanitaire et l’endettement public concomitant. Au Royaume-Uni, un plan de revalorisation des enseignants âprement débattu depuis plusieurs années a récemment été repoussé en raison de la crise…

Le Grenelle de l’éducation avance quelques idées sur la question sensible de la « part variable » de la rémunération des enseignants…

La question de la part variable de rémunération est peut-être une bonne idée sur le papier, mais sa mise en œuvre est toujours compliquée tant le terrain est miné. En Angleterre, une réforme intéressante de 2013-2014 maintenait une grille nationale pour le salaire des enseignants, mais avec une part variable sur laquelle les chefs d’établissement avaient une marge de manœuvre en fonction de l’investissement de chacun. Or on s’est aperçu que seulement un quart des chefs d’établissement se sont saisis de cette possibilité, et ceux qui s’en sont saisis ne l’ont fait que de façon très marginale tant elle était impopulaire dans les équipes éducatives.

Mais cette question n’implique pas les mêmes débats si on parle de rémunérer les heures supplémentaires des professeurs qui s’impliquent dans des dispositifs ou des projets (remplacements, innovations pédagogiques, etc.) – ce sur quoi semble insister l’atelier « revalorisation » du Grenelle –, ou de rémunérer en tant que tel leur « mérite ». Cette seconde proposition viserait à appliquer au secteur public une philosophie issue du privé. Elle nécessite de définir précisément ce qui fait un « bon » enseignant, de mettre en place un système d’évaluation et de surveillance serrée de son activité, d’en « quantifier » certaines dimensions au détriment d’autres… Cette politique expérimentale est difficilement imaginable en France, où la liberté pédagogique des enseignants est constitutive du métier.

Le Grenelle propose de renforcer l’autonomie des établissements avec des « projets d’autonomie et de réussite des établissements ». Est-ce un enjeu central ?

On est ici devant une logique de décentralisation défendant l’idée que les acteurs locaux sont plus à même de prendre les bonnes décisions sur le fonctionnement qu’un régulateur centralisé, en fonction du contexte local ou du projet d’établissement. C’est cette philosophie qui a poussé au développement depuis trente ans des Charter Schools aux Etats-Unis, des Academies au Royaume-Uni, ou des Fristående Skolor en Suède. Ces écoles sont financées par le public mais bénéficient d’une large autonomie en termes d’allocation de budget, de projet pédagogique, de recrutement, etc., un peu sur le modèle du « privé sous contrat » français.

Les évaluations montrent que cette décentralisation, si elle n’est pas absurde, n’a pas d’impact clair : aux Etats-Unis et en Suède, il semble qu’une partie de ces établissements parviennent à améliorer le destin de leurs élèves, mais au Royaume-Uni, les Academies n’ont pas les résultats escomptés. Selon les points de vue, la mise en concurrence des établissements qui découle bien souvent de cette logique soit accentue le risque d’accroissement des inégalités territoriales, soit crée de l’émulation et pousse à l’innovation pédagogique… Jusqu’où le ministère pourrait pousser le curseur de l’autonomie ? Cette question susceptible de changer profondément le système éducatif doit en tout cas faire l’objet d’un débat démocratique impliquant « tous » les acteurs de l’école (enseignants, mais aussi parents, élèves, etc.), plus large que celui ayant eu lieu durant le Grenelle.

Les résultats des demandes de mutation des enseignants arriveront dans quelques semaines. Certains participants au Grenelle souhaitent que 25 % des recrutements en REP + puissent se faire « hors mouvement ». Est-ce une bonne idée ?

La procédure d’affectation des enseignants joue de manière importante dans l’inégale répartition des ressources dans le système éducatif, les jeunes enseignants inexpérimentés – donc moins « chers » – se retrouvant systématiquement devant les élèves plus défavorisés par le jeu de la procédure de mutation qui survalorise le nombre d’années d’expérience. A défaut de pouvoir rendre plus attractifs ces établissements en y améliorant notamment la mixité sociale et scolaire, des bonifications substantielles sont accordées aux enseignants en REP, qui permettent aux jeunes enseignants de ces établissements d’avoir un salaire comparable à celui des enseignants plus expérimentés hors REP, et ainsi de les « garder » plus longtemps. Cette proposition d’une part de recrutement « hors mouvement » semble aller dans le même sens. Si, comme le suggèrent des dispositifs similaires à l’étranger, cela permet de garder un peu plus longtemps les enseignants en éducation prioritaire, car ils auront un peu plus choisi d’être là, c’est une bonne chose.

Quelles sont les marges d’amélioration en termes de formation initiale et de formation continue des enseignants ?

Pour ce qui est de la réforme de la formation initiale, le fait de déplacer le concours de recrutement des enseignants du M1 au M2 risque clairement d’assécher le vivier de candidats en augmentant le « coût d’opportunité » dont nous avons déjà parlé, comme ce fut le cas avec la réforme dite de la « mastérisation » sous l’ère Sarkozy. Mais le fait de consacrer une part plus importante de l’évaluation des futurs enseignants à la pédagogie et à la mise en situation professionnelle est, nous dit la recherche en économie, une bonne manière d’évaluer la capacité des enseignants à transmettre et à faire réussir. Sans pour autant, évidemment, relâcher trop les exigences disciplinaires et académiques.

D’après l’enquête Talis de l’OCDE, les enseignants français sont parmi les plus critiques des pays développés envers ce qui leur est proposé en termes de formation continue. Les propositions du Grenelle en la matière sont donc bienvenues. Particulièrement le fait de mettre en place un « système de tutorat et de mentorat » pour les néotitulaires qui ont besoin d’être soutenus en début de carrière. Plusieurs études montrent l’efficacité des échanges individuels entre enseignants de différentes générations.

Le Grenelle propose d’ailleurs d’intégrer dans les obligations réglementaires de service « un temps de travail en équipe ». Cela va-t-il dans le bon sens ?

Les enquêtes internationales de l’OCDE montrent souvent que les enseignants français se sentent isolés et pas soutenus. Les enseignants sont interdépendants les uns des autres malgré leurs disciplines, leurs statuts, leurs salles de classe, dans la mesure où ils partagent les mêmes élèves. Les temps formalisés d’échange entre eux leur permettent d’en prendre conscience et de se synchroniser. C’est donc plutôt une bonne idée, à condition que ces heures soient rémunérées, et même qu’un espace soit aménagé dans l’établissement pour favoriser cette collaboration.

Il est important de favoriser cette relation horizontale entre professeurs dans les établissements, et pas seulement verticale avec un chef d’établissement auquel on donnerait plus de pouvoir sur l’équipe éducative. Cela pourrait aussi potentiellement permettre de les garder plus longtemps, de développer une culture d’établissement, etc.

FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de l’association «Liberté éducation», le choix des parents concernant l’éducation de leurs enfants doit rester le principe et non l’exception.

Aujourd’hui, 63.000 enfants sont instruits en famille. PASCAL PAVANI/AFP

Aujourd’hui, 63.000 enfants sont instruits en famille (dont 30.000 reconnus handicapés), pour des raisons très variées: meilleur respect du rythme biologique de l’enfant, éloignement géographique, choix d’une pédagogie alternative, sourdouance, difficultés scolaires ou harcèlement, dyslexie, dysgraphie, dyscalculie, profils atypiques, etc., autant de diversités qui font la richesse de notre pays. Mais voici que l’article 21 du projet de loi visant à «conforter les principes républicains» remplace le régime déclaratif de l’instruction en famille par un régime d’autorisation liberticide, avec des dérogations qui seront données au compte-gouttes, d’après la lacunaire étude d’impact du gouvernement.

Ainsi 29.000 enfants seront renvoyés de gré ou de force sur les bancs de l’école, contre la volonté de leurs parents. Si cette loi était votée en l’état, la France deviendrait l’un des rares pays du monde à rendre l’école obligatoire dès 3 ans. Demain, tout nouveau gouvernement pourrait décider de raccourcir ce délai sans que les parents puissent faire un autre choix! En réalité, cette disposition a tous les attributs d’un cavalier législatif, sautant les haies du processus parlementaire pour satisfaire l’une des dernières volontés du Président, suite à son annonce, le 2 octobre dernier aux Mureaux, de vouloir interdire l’école à la maison.

Lancée précipitamment, la commission spéciale de ce projet de loi a auditionné notre association Liberté éducation, au sein de l’interassociation IEF (Instruction en famille). Mais ce fut à huis clos, sans retransmission vidéo, les premiers protagonistes de cet article 21 étant sans doute de trop dangereux séparatistes.

Le président de notre association, avocat, a pu aussi démontrer qu’instruire ses enfants en famille est une liberté fondamentale, et qu’un certain nombre d’obstacles, tant constitutionnels que conventionnels, se dresseront sur le chemin semé d’embûches d’un gouvernement un peu trop pressé de légiférer.

Il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents de choisir des modalités pratiques de l’instruction de leur enfant .

Claire Hédon, défenseur des droits

Faute d’avoir été entendus au-delà de ce petit cénacle, nous avons donc répété nos arguments à l’occasion d’une table ronde, sur YouTube, la semaine dernière, en présence de trois députés et du musicien André Stern, qui n’a jamais été scolarisé, preuve s’il en manquait qu’on peut aussi réussir sans aller à l’école.

Pendant ces auditions, la Défenseur des droits, Claire Hédon, a pris position de façon très ferme contre le projet de loi, pointant les «risques d’atteintes aux libertés»: «comme l’a souligné le Conseil d’Etat dans son avis, ce texte concerne pratiquement tous les droits et libertés publiques constitutionnellement et conventionnellement garanties, les plus éminents d’entre eux». Et parmi ces libertés énumérées une à une, celle d’enseignement, rappelant qu’il n’y avait «pas lieu de soumettre l’instruction en famille à autorisation, la loi étant déjà stricte: contrôles, risque d’amende très élevée en cas de non-respect, injonction de scolarisation si défaut d’instruction».

Pour elle, «il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents de choisir des modalités pratiques de l’instruction de leur enfant». De son côté, la responsable du renseignement territorial a coupé court aux soupçons de radicalisation chez les familles IEF: «il est extrêmement compliqué de faire un lien direct entre l’augmentation du repli communautaire et l’augmentation de l’instruction à domicile».

On peut toutefois regretter, à ce sujet, qu’aucun inspecteur familiarisé avec les familles en IEF n’ait été auditionné, à notre connaissance, sachant que plus de 97% de leurs rapports annuels sont positifs, et que le Syndicat national des inspecteurs d’académie s’est dit fortement opposé à ce volet du projet de loi, appelant dans une lettre à ne céder ni à «l’angélisme» ni à «la tentation de la simplification et de l’amalgame».

Force est de constater que depuis l’annonce du projet de loi, les familles et enfants en IEF subissent l’incroyable vindicte de l’exécutif, comme du ministre de l’Intérieur parlant à leur endroit de «petits fantômes de la République» ou du ministre de l’Education nationale, carrément de «sauvages».

Dans une réponse à des parents le 22 janvier dernier, son chef de cabinet verse au procès d’intention: «(votre) choix délibéré traduit une volonté de se mettre en marge de la société». Quelle violence dans cette accusation sans fondement! L’article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen rappelle pourtant que «tout homme [est] présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable»: il n’est donc pas permis de présumer la malveillance des parents, ni de leur demander de démontrer a priori leur bonne foi et leur honnêteté. Nous voici présentés à nos inquisiteurs, sommés de répondre à l’injonction «êtes-vous des ennemis du peuple ?».

Soumettre l’exercice d’une liberté fondamentale à une autorisation administrative préalable serait par nature une régression considérable.

La majorité est cependant revenue sur l’interdiction pure et simple de l’école à la maison telle qu’annoncée dans un premier temps par le Président de la République, la remplaçant par une quasi-interdiction plus subtile, à savoir une «dérogation» très encadrée, selon des motifs flous et donc suspects.

La dernière version du texte demeure «une atteinte à la liberté d’enseignement», comme le souligne un nouvel amendement cosigné par une quarantaine de députés de l’opposition, qui demandent: «(cette mesure) est-elle proportionnée, alors que l’on peine à voir en quoi le contrôle de la scolarisation serait différent du contrôle de l’instruction qui existe aujourd’hui? Nous pouvons en douter. Les familles qui cherchaient déjà à se soustraire à l’obligation d’instruction chercheront de même demain à se soustraire à l’obligation scolaire.»

Une liberté fondamentale en péril

Cet article 21 fait l’objet de 489 amendements de tout bord, un record sur l’ensemble du texte. Il soulève de nombreuses questions: une liberté fondamentale soumise à dérogation est-elle concevable, en démocratie? Les parents sont-ils encore les premiers éducateurs de leurs enfants, ou ces derniers appartiennent-ils désormais à l’Etat? Lorsque des parents confient leur enfant à l’école de la République, est-ce encore par délégation? Jusqu’ici, en France, tout ce qui n’était pas interdit était autorisé.

Désormais, avec ce gouvernement, on en vient à interdire tout ce qui n’est pas autorisé. Pourtant, la liberté, dans notre République, doit rester le principe, et l’interdiction, l’exception. Soumettre l’exercice d’une liberté fondamentale à une autorisation administrative préalable serait par nature une régression considérable, à laquelle les juges du Conseil Constitutionnel seront attentifs. A titre de comparaison, la consécration de la liberté de la presse a impliqué, en 1881, le passage d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration. Pour l’instruction en famille, nous ferions aujourd’hui le chemin inverse?

Le droit à l’instruction en famille est un principe républicain, une liberté fondamentale garantie par notre Constitution, sur laquelle il sera difficile de s’asseoir.

N’en déplaise à certains, le droit à l’instruction en famille est un principe républicain, une liberté fondamentale garantie par notre Constitution, sur laquelle il sera donc difficile de s’asseoir.

Le danger reste grand d’une dérive liberticide, comme l’a écrit dans ces colonnes la philosophe Chantal Delsol, pointant ni plus ni moins le danger d’un nouveau despotisme: «la première chose que font les totalitarismes, c’est d’enlever les enfants aux parents pour les faire éduquer par l’État». Elle s’inquiète donc à juste titre de la montée d’un «républicanisme sectaire tournant le dos à l’esprit libéral qui caractérisait les lois scolaires depuis Jules Ferry». Lequel avait justement, en 1882, sanctuarisé la possibilité pour les parents de faire l’école à la maison, rendant non pas l’école obligatoire, mais l’instruction.Il avait d’ailleurs alors eu ce mot: «qu’on ne tracasse pas les parents qui font consciencieusement l’instruction en famille!». Il ajoutait même ce conseil de ne pas apporter «des règlements d’oppression et de tyrannie» à ces familles.

L’histoire nous rappelle aussi que son fidèle disciple Ferdinand Buisson, spécialiste de la pédagogie et qui contribua à façonner l’école républicaine en réformateur constant de l’institution scolaire dans l’ombre de Jean Jaurès et de son mentor, d’ailleurs cité par Emmanuel Macron lors de son hommage à Samuel Paty, défendait lui aussi l’instruction en famille: «La nation ne pénètre pas au foyer (…) car dans l’éducation d’un enfant, il y a deux responsables: la famille d’abord, ensuite l’État.»

Il nous rappelle encore les mots de ce grand chef d’Etat que fut Clemenceau aux laïcs autoritaires: «Vous rêvez de l’Etat idéal et, au nom de ce rêve, vous bâtissez l’omnipotence de l’Etat laïque, qui est une tyrannie. Je ne suis pas de ce pontificat! Nous sommes tous faillibles. (…) S’il pouvait y avoir un conflit entre la République et la liberté, c’est la République qui aurait tort».

Encore faut-il avoir l’humilité de le reconnaître. Comme le disait ces jours-ci Jean Castex à propos de la crise sanitaire: «les dérives de quelques-uns ne doivent pas porter préjudice aux efforts du plus grand nombre». Qu’il en soit aussi ainsi pour la liberté fondamentale de pratiquer l’école à la maison: France, pays des libertés, le monde entier nous regarde!

Face aux enjeux de demain et à l’omniprésence médiatique des « experts », des « spécialistes » et des « technocrates », quelle place pour les penseurs, les philosophes et les littéraires ?

« L’offre que nous représentons ne correspond plus à l’époque. » C’est par ce constat que les fondateurs de la revue le Débat, Pierre Nora et Marcel Gauchet, annonçaient la fin de la parution du bimensuel qui fut le creuset des débats intellectuels français pendant 40 ans.

Loin d’être anecdotique, cette disparition est, pour certains, emblématique du désintérêt croissant des élites pour les humanités et marque l’avènement de la polémique médiatique aux dépens de la discussion démocratique…

Faut-il néanmoins désespérer face à ce constat ou au contraire y voir un appel urgent à penser de nouvelles formes de présence et d’expression d’une élite intellectuelle ?

Polémique sur l’hydroxychloroquine et les vaccins, mouvement des gilets-jaunes, succès des « fake news » et du complotisme, taux d’abstention records, montée du populisme et des fondamentalismes, défiance des citoyens : la crise que nous sommes en train de vivre ne vise pas seulement notre système politique, elle traduit également un rejet des élites qui remet en cause les fondements de notre société.

Mais de quelles élites parlons-nous ? L’omniprésence médiatique des « experts », des « spécialistes » et des « technocrates » promeut un nouvel élitisme qui ne dit pas son nom et revendique son savoir. La crise des élites est aussi une crise des savoirs, qui remet en cause le sens de ce que l’on appelait les « Humanités ».

A l’ère de la technique, de l’instantanéité et de la surinformation, y a-t-il encore une place pour une élite de l’esprit ? Quelle formation, quelle articulation des savoirs requerrait-elle alors ? Pour quelle sagesse ?

Retrouvez la soirée passionnante organisée par Le Collège des Bernardins le 12 janvier dernier, à l’occasion du cinquantenaire des classes préparatoires du lycée de Sainte-Marie de Neuilly, en collaboration avec les étudiants, dans le cadre du cycle « Le monde a besoin de littéraires ».