L’éducation constitue le premier défi pour les démocraties et le levier le plus efficace pour la sortie de la crise qu’elles traversent et qui n’a pas d’équivalent depuis les années 1930. Elle est en effet clé pour la productivité, qui dépend du capital humain dans une économie de la connaissance, pour la cohésion sociale et la réduction des inégalités, pour la citoyenneté, la confiance dans les institutions représentatives et la résistance aux tentations autoritaires.
L’effondrement du système éducatif français constitue dès lors un obstacle majeur à la reconstruction de notre pays et l’une de ses faiblesses les plus inquiétantes pour l’avenir. Sa crise est désormais systémique. Elle touche ses performances, avec le recul depuis 2000 dans le classement Pisa des 15 et 11 rangs en lecture et en mathématiques aux 23e et 25 rangs: 40 % des enfants ne maîtrisent pas en sixième les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul. La dégradation est aussi nette dans l’enseignement supérieur, où elle s’accompagne d’un déclassement de la recherche avec la chute de la 5e à la 12e place mondiale pour les publications les plus citées.
Après l’abandon des humanités et des langues anciennes, ce sont l’ensemble des filières d’excellence qui ont été liquidées
Nicolas Baverez
Les causes de la débâcle éducative française ne sont pas à chercher dans le manque de moyens mais dans leur mauvaise utilisation au service d’une organisation obsolète. La France consacre au total 6,7 % de son PIB à l’éducation, ce qui est au-dessus de la moyenne des pays développés. Mais l’enseignement scolaire absorbe 5,2 % du PIB contre 4,9 % dans l’OCDE, tandis que l’effort pour l’enseignement supérieur est limité à 1,5 % du PIB pour 2,7 millions d’étudiants – contre 1,7 % du PIB au Royaume-Uni et 2,5 % aux États-Unis -. Les véritables raisons, comme l’a indiqué la Cour des comptes, résident dans la centralisation paralysante du système et l’absence d’autonomie des établissements, dans l’archaïsme et la rigidité du statut des enseignants, dans les insuffisances de l’évaluation.
Les réformes effectuées durant le quinquennat d’Emmanuel Macron ont eu des effets très contrastés et ont plutôt aggravé la situation. Deux sont excellentes: le dédoublement des classes en CP dans les zones prioritaires et la spectaculaire relance de l’apprentissage. Elles ne parviennent pas à compenser la calamiteuse réforme du lycée qui a fait éclater les classes et a détruit l’enseignement des mathématiques et des sciences: seuls 37 % des lycéens de terminale suivent encore des cours de mathématiques, dont les heures ont diminué de 18 % dans l’ensemble du secondaire. Après l’abandon des humanités et des langues anciennes, ce sont l’ensemble des filières d’excellence qui ont été liquidées, avec pour effet le tarissement des recrutements des classes préparatoires, et donc la disparition à terme des grandes écoles. Enfin, la forte augmentation des rémunérations des enseignants a été accordée sans aucune contrepartie en termes d’amélioration de temps de travail, de fonctionnement en équipes pédagogiques ou de présence dans les établissements.
Longtemps masquées, les conséquences de la déconfiture éducative apparaissent au grand jour. Les démissions d’enseignants se multiplient, aggravant la difficulté croissante à attirer les talents, notamment dans les matières scientifiques. La productivité de l’économie, et donc la croissance, est condamnée à stagner alors qu’un emploi privé sur deux est occupé par un salarié ne disposant pas des compétences suffisantes. L’illettrisme et l’innumérisme se répandent dans la société, accentuant le décrochage face aux démocraties d’Amérique, d’Asie ou d’Europe du nord.
Le temps n’est plus aux ajustements à la marge mais à une transformation radicale autour de six grands principes. Une loi de programmation associant meilleure efficacité de la dépense dans le scolaire et réinvestissement dans le supérieur à hauteur de 2 % du PIB en contrepartie de la libéralisation des droits d’inscription ; la reconnaissance de la pleine autonomie des établissements et des universités ; le déplafonnement de l’offre de l’enseignement privé sous contrat de l’école maternelle au lycée, limitée à 20 % alors qu’il affiche des performances très supérieures à recrutement et territoire identiques ; le renforcement de la formation des enseignants et l’annualisation de leurs heures de service ; la réhabilitation du travail, de l’excellence et du mérite ; la défense de la liberté académique définie par le respect de l’objectif du savoir et de la démarche scientifique.
Leibnitz affirmait à raison que «l’éducation peut tout: celui qui en est maître peut changer la face du monde». Elle constitue plus que jamais l’investissement le plus productif pour une nation et le meilleur moyen de repositionner la France parmi les puissances du XXI siècle.
Le sociologue Clément Reversé analyse le phénomène du décrochage scolaire en milieu rural.
En 2010, la France a signé les engagements européens intitulés « Europe 2020 » dont l’un des objectifs était de faire passer le taux de décrochage scolaire sous la barre des 10 % pour 2020. C’est-à-dire que moins de 10 % des jeunes quittent leur formation avec un niveau inférieur à celui du CAP-BEP. En 2019, le taux de décrochage scolaire se situait à 8 %.
Si, bien entendu, la lutte contre ce phénomène a comme objectif premier la réduction des inégalités entre les élèves, elle constitue également un enjeu social et économique. Un rapport de 2014 estime le « coût » du décrochage d’un élève à 230 000 € sur une vie, ce qui équivaudrait pour à un « coût » annuel pour l’État de l’ordre de 30 milliards.
Au niveau individuel l’enjeu est également grand, et cela malgré l’inflation du niveau de diplôme. Les chiffres de l’Insee de 2021 indiquent que le taux de chômage 1 à 4 ans après la sortie du système de formation est de 48 % pour les non-diplômés contre 11 % chez les détenteurs d’un diplôme de niveau bac+2 ou supérieur.
Les mesures prises pour lutter contre le décrochage scolaire laissent pourtant apparaitre un clivage important entre les espaces urbains et les espaces ruraux, moins densément peuplés et marqués par l’éloignement aux services. L’absence d’écoles d’écoles de la deuxième chance, d’Établissements pour l’insertion dans l’Emploi (EPIDE), ou tout simplement la moins forte concentration en dispositifs liésaux Missions Locales font apparaitre ces inégalités territoriales.
Des territoires de réussite
Plus qu’une question d’accès à ces structures, les décrocheurs ruraux sont désavantagés par des mesures reposant sur une perception très urbanocentrée des marqueurs du risque du décrochage scolaire, puisque basées sur des recherches faites en ville.
Nous ne disposons effectivement que de très peu d’indicateurs sur les causes, conséquences et modalités du décrochage scolaire au sein de ces espaces qui regroupent pourtant, comme le montre Joël Zaffran, près d’un cinquième des effectifs des décrocheurs scolaires. Des prérogatives politiques concernant la lutte contre le décrochage scolaire mettent pourtant bien en avant la nécessité d’un pilotage par les régions, mais l’aspect rural des espaces n’est pas pris en considération.
Les études pointent une corrélation claire entre une origine sociale plus modeste et une plus faible réussite scolaire ainsi qu’un plus fort taux de décrochage scolaire. Si les espaces ruraux incluent plus d’employés et d’ouvriers et moins de cadres et de professions intellectuelles supérieures que les villes, ils déjouent les prévisions. Le rapport de 2018 de l’IGEN et de l’IGAENR sur l’éducation rurale montre que les élèves y ont des résultats légèrement supérieurs aux urbains à l’entrée au collège et qu’ils ne souffrent en définitive pas réellement de manques, de retards ou de déficits liés à leur éducation.
Plusieurs éléments ont été invoqués par la sociologie pour expliquer ces résultats. D’abord, une implication familiale importante dans la vie éducative des enfants, ainsi qu’une plus grande confiance entre parents et enseignants, notamment rendue possible par des interconnaissances plus fortes dans ces espaces. Ensuite, la petitesse des effectifs dans les classes et la plus forte présence de classes multiniveaux permettant d’apporter plus de temps par élève et de favoriser le développement.
Les espaces ruraux ne sont donc pas des espaces de « manques » culturels ou éducatifs et semblent même limiter les difficultés de certains élèves. Notons également qu’ils manifestent une forte correspondance entre formation, emploi et territoire, avec une orientation plus importante vers des études plus courtes et plus professionnalisantes qu’en ville.
Toujours selon l’IGEN et l’IGAENR nous pouvons observer que 61 % des élèves ruraux se trouvent dans une filière de bac pro contre 39 % en ville. Cette orientation plus courante vers ces filières fait que les jeunes ruraux se sentent moins dévalués par de tels cursus dans un milieu où réside pour beaucoup une forme d’« évidence » d’un parcours scolaire court et professionnalisant.
Le milieu rural n’est donc pas un milieu propice au décrochage scolaire, puisque ses particularités éducatives et la plus grande fréquence d’orientations professionnalisantes semblent apporter une certaine résistance à ce phénomène. Ceci explique ainsi pourquoi les jeunes ruraux représentent un quart de la population jeune du territoire national et seulement 17 % des décrocheurs en France.
Des signaux complexes à repérer
En réalité, ce qui rend le décrochage scolaire en milieu rural problématique c’est la forme que ce dernier prend et la difficulté de mettre en œuvre une politique de prévention adaptée. En milieu rural, comme ailleurs, le décrochage scolaire est l’aboutissement d’un processus long de distanciation avec sa scolarité, très fréquemment motivé par un souhait d’insertion rapide sur le marché de travail.
Chez les jeunes ruraux qui décrocheront, l’attirance du monde du travail est la motivation principale qui est mise en avant pour justifier l’acte du décrochage scolaire. En somme, celui-ci est perçu comme une voie d’accélération vers l’indépendance de la vie adulte.
Hormis cette volonté d’insertion professionnelle très importante dans l’acte du décrochage scolaire, c’est la discrétion et le caractère abrupt du décrochage scolaire rural qui le rend particulier. La sociologie propose généralement deux types de comportements qui semblent indiquer un risque élevé de décrochage scolaire :
des comportements « internalisés », qui correspondent à de la dépression, des tentatives de suicide, de l’automutilation ou encore une faible estime de soi ;
des comportements « externalisés », comme la rébellion, la violence, les retards fréquents et surtout un crescendo de l’absentéisme.
Or, afin de déceler les risques de décrochage scolaire et de faire un travail de lutte en amont, ce sont principalement les comportements externalisés – plus visibles – qui sont mobilisés comme marqueurs d’un potentiel décrochage scolaire.
La difficulté lorsque l’on s’intéresse au phénomène du décrochage scolaire en milieu rural est alors la faible fréquence de ces comportements, et notamment de l’absentéisme. Si les comportements intériorisés sont tout aussi fréquents qu’en ville, les actes de rébellion et surtout la distanciation physique de l’école sont bien plus rares dans des espaces marqués par l’éloignement et où l’école reste le centre névralgique des relations et pratiques juvéniles.
L’espace rural étant plus difficile à s’approprier pour des jeunes ayant peu, voire pas de moyen de déplacement, les élèves ruraux – et les futurs décrocheurs – présentent bien moins souvent ce type de comportements mobilisés pour déceler le risque d’abandon scolaire.
Le décrochage de ces jeunes n’est pas l’aboutissement d’un crescendo de l’absentéisme comme en ville, mais a plutôt lieu lors de vacances, après lesquelles ces jeunes ne reviennent tout simplement pas en cours. Très souvent, un refus dans son choix d’orientation, un mauvais bulletin ou un redoublement sera l’élément déclencheur du décrochage, mais sans que l’élève ait exprimé des comportements externalisés en amont.
Ce que montre ce phénomène, c’est l’absence de politiques claires et dédiées aux espaces ruraux en matière de repérage des risques de décrochage scolaire, mais aussi en matière de remédiation alors qu’aujourd’hui les institutions en charge du raccrochage sont toutes – ou presque – en ville.
Ce décrochage invisible est inquiétant puisque, bien que les travaux de Joël Zaffran semblent indiquer une insertion professionnelle meilleure à la campagne qu’en ville pour les non-diplômés, les espaces ruraux sont très loin d’être exempts des phénomènes de vulnérabilité liés à l’absence de diplôme. Il est donc nécessaire de prendre en compte les caractéristiques spatiales du phénomène de décrochage scolaire afin de poursuivre une lutte efficace sur l’intégralité du territoire.
S’intéresser aux comportements intériorisés comme la faible estime de soi ou les violences autocentrées sont une piste intéressante à étudier et marquent le caractère complexe et polymorphe que doit prendre aujourd’hui la lutte contre le décrochage scolaire sur l’ensemble du territoire national.
Décollage en cours pour les écoles de production Abonnés
Longtemps ignorées, ces écoles forment des jeunes en situation d’échec scolaire à un métier. Elles se multiplient et une centaine devraient être opérationnelles en 2025.
Un article paru dans le journal La Croix, consultable ICI
Il n’est jamais trop tard pour grandir. Les écoles de production, fondées en 1882 par l’abbé Boisard, font aujourd’hui l’objet d’un engouement inédit. La 42e a été inaugurée au Havre, lundi 8 novembre, dans des locaux mis à disposition par la métropole. Elle va former des jeunes de 15 à 18 ans aux métiers de la chaudronnerie, avec un CAP puis un Bac pro à la clé, qui auront l’assurance de trouver un emploi à la sortie.
« Les entreprises ont beaucoup de mal à recruter dans notre secteur et elles sont séduites par notre mode de fonctionnement, avec des promotions d’une douzaine d’élèves seulement qui sont motivés et apprennent en travaillant », explique Stéphane Lelièvre, le directeur de l’école du Havre, lui-même ancien patron de PME. Les deux tiers du temps, soit vingt-quatre heures par semaine, sont consacrés aux travaux pratiques.
Une centaine d’écoles ouvertes en 2025
Dans les écoles de production, privées, les jeunes, dont la plupart n’ont pas trouvé leur voie dans le système scolaire traditionnel et se retrouvent en situation d’échec, réalisent des pièces directement commandées par des entreprises, facturées au prix du marché. Un système à mi-chemin entre le lycée professionnel et l’apprentissage, qui a fait ses preuves, en affichant des taux de réussite aux examens bien supérieurs.
D’ici janvier, trois autres écoles devraient voir le jour. Et ce n’est pas fini. En mai, le gouvernement a lancé un appel à manifestation d’intérêt (une procédure d’appels d’offres) pour doubler le nombre d’écoles d’ici à 2023. En tout, 45 dossiers ont été constitués. Même Dominique Hiesse, le dynamique président de la Fédération nationale des écoles de production (FNEP) n’en revient pas. « Nous devrions atteindre la centaine d’écoles dès 2025 », assure-t-il.
Le soutien de TotalEnergies
C’est bien plus tôt que prévu. En 2018, la fédération a signé un partenariat avec la fondation TotalEnergies pour créer 100 écoles d’ici à 2028, avec un soutien financier de 60 millions d’euros sur la période. Une aide décisive qui a permis de porter plus de projets, « en finançant les études de faisabilité, en aidant à la recherche de partenaires locaux et en soutenant les écoles au démarrage, à travers notamment l’achat des machines », détaille Manoelle Lepoutre, directrice de l’engagement à la Fondation TotalEnergies.
Depuis trois ans et avec 10 millions d’euros déjà investis, l’énergéticien a soutenu la création de 18 nouvelles écoles dans les métiers de l’usinage, de la mécanique industrielle ou encore de la métallerie ainsi que l’extension de 10 écoles existantes. « Il y a en France un problème d’insertion des jeunes dans la vie professionnelle. Nous tentons d’apporter une solution à notre échelle, car comme toutes les grandes entreprises nous devons participer à la vie de la cité », explique Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies. Le groupe a d’ailleurs décidé de changer la dénomination de sa fondation qui devrait bientôt s’appeler Fondation TotalEnergies pour la jeunesse.
Une reconnaissance officielle
Pour les écoles de production, l’argent n’est pas le seul nerf de la guerre. Il y a aussi le nouveau regard porté sur elles par les pouvoirs publics. En 2018, les écoles de production ont ainsi été reconnues officiellement par l’État comme une des voies de la formation professionnelle. « Au sein du ministère du travail, qui est notre autorité de tutelle, il y a clairement aujourd’hui la volonté de soutenir tous les dispositifs permettant de remettre les jeunes dans le circuit de l’emploi, relève le président de la FNEP. Des fédérations professionnelles qui ne nous connaissaient pas ou mal viennent également nous voir. »
L’Éducation nationale freine encore
Il existe encore cependant beaucoup de réticences au développement des écoles de production. « Faire voter une subvention n’a rien d’évident. Par idéologie, certains élus considèrent toujours que la formation des jeunes relève de la sphère publique et que les entreprises n’ont rien à y faire », souligne Jean-Baptiste Gastinne, le vice-président de la région Normandie.
Mais le plus gros frein reste encore celui du ministère de l’éducation nationale, qui voit lui aussi d’un mauvais œil l’essor de ces nouvelles structures, comme viennent d’ailleurs le rappeler plusieurs députés lors de la discussion budgétaire, en l’appelant à plus d’ouverture d’esprit.
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Les dates clés
1882. Louis Boisard, un jeune ingénieur de l’École centrale, crée les Ateliers d’apprentissage de l’industrie dans le quartier de la Guillotière à Lyon. Durant un siècle, le mouvement se cantonne à la région Rhônes-Alpes.
2001. Ouverture d’une école de production à Toulouse puis à Marseille en 2007.
2006. Reconnaissance par l’État des 7 écoles existantes comme « établissements privés d’enseignement technique participant de manière utile et efficace au service public de l’enseignement professionnel ».
2018. Les écoles de production sont reconnues dans l’article 25 de la loi du 5 septembre « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ».
Enfants surdoués, intellectuellement précoces (EIP) ou à haut potentiel (EHP) : ces dénominations sont de plus en plus fréquentes dans les discussions sur l’éducation. Cela va du constat d’un nombre non négligeable d’élèves concernés en France, aux critères de détection et d’accompagnement de ce profil à besoin particulier.
Ce sujet s’invite à l’école : dans la salle des maîtres où un enseignant, en difficulté face à un élève, se demande si celui-ci est surdoué ; lors des échanges entre professeurs et parents où les seconds parlent de la précocité de leur enfant pour justifier les problèmes soulevés par l’école.
Or, ce profil d’élèves n’est pas le seul à avoir des besoins éducatifs particuliers. Le risque d’une surmédiatisation d’un profil est de faire tomber les autres dans l’oubli. Ce risque est particulièrement élevé pour les élèves excellents scolairement mais qui ne sont pas à haut potentiel.
Besoin de reconnaissance
Les termes employés pour désigner des personnes manifestant des aptitudes intellectuelles exceptionnelles sont nombreux : en France on parle de surdoués, précoces, génies ou très récemment de zèbres ; aux États-Unis, c’est « gifted » (doué), « dotato » en Italie et « high ability » en Europe. Ces adjectifs sont utilisés pour qualifier
« un enfant qui manifeste la capacité de réaliser, dans un certain nombre d’activités, des performances que ne parviennent pas à accomplir la plupart des enfants de son âge »,
et ayant tendance à apprendre « sans effort et à un rythme particulièrement rapide, faisant preuve d’une curiosité insatiable et d’une excellente mémoire ».
La comparaison aux autres enfants de leur âge crée le premier point d’accroche quand on s’intéresse à ce profil d’élève à l’école. Mais le second se situe dans le fait qu’un certain nombre de ces élèves rencontrent des difficultés scolaires, entravant parfois leur avancée dans leur parcours.
Il y a donc un besoin de reconnaissance par l’éducation nationale de l’existence des enfants à haut potentiel et de leur besoin d’adaptations pédagogiques. La présence de cet intitulé dans le code de l’éducation montre qu’ils sont reconnus officiellement et institutionnellement.
Excellence et précocité
Dans toute la France, les enseignants sont susceptibles d’accueillir des élèves intellectuellement précoces, et donc de devoir les accompagner durant leur scolarité. Quelle différence font-ils entre l’excellence et le haut potentiel dans les particularités respectives de leurs besoins ?
Dans le cadre d’une enquête nationale à destination des enseignants de primaire en éducation prioritaire recueillant plus de 1500 réponses, nous les avons interrogés sur leur perception de l’excellence. Sur notre échantillon, ils sont très peu à considérer l’excellence scolaire comme synonyme de la précocité (de l’ordre du 1 %). Voici les termes qu’ils utilisent :
« J’ai considéré dans ce questionnaire les enfants en très grande réussite scolaire, dit “surdoués”, et non pas ceux qui bossent beaucoup à la maison. »
« Pour moi, pour faire court, le sujet de ce questionnaire sur l’excellence, c’est sur la précocité en fait. »
La très grande majorité fait donc la différence entre les deux. Ils identifient pour eux des réponses pédagogiques différentes en fonction du profil avec une orientation spécifique vers des structures spécialisées quand il s’agit de hauts potentiels.
« Bien entendu, je ne parle que d’enfants excellents et non pas d’enfants surdoués où là, la structure d’une classe banale ne convient pas. »
C’est à travers ces comparaisons que les enseignants définissent ce qu’est pour eux un élève excellent.
La très grande réussite scolaire résulte d’une grande adaptabilité de l’enfant qui doit connaître les codes, les contraintes et attentes de l’institution et des enseignants.
« L’élève en réussite n’est ni un fayot, ni un surdoué, ni un génie : juste un enfant qui évolue plus vite que le reste de la classe. »
Il y a donc des profils différents d’élèves précoces et d’élèves excellents : un élève précoce n’est pas forcément excellent et inversement.
Les oubliés du système
Une médiatisation trop importante de la notion de précocité, comme toutes les étiquettes que l’on pose, peut occulter certains profils, comme celui de l’élève excellent.
En effet, les enseignants, particulièrement ceux exerçant en éducation prioritaire (cible de notre enquête), font face à de nombreuses recommandations autour de leur rôle indispensable pour la vie future des élèves. Il leur est demandé de lutter contre le décrochage scolaire, de parer l’échec, combler les difficultés, mais également de prendre en compte ceux « souffrant de handicaps, de difficultés d’apprentissage et d’inégalités sociales ».
À cela s’ajoute l’idéal de l’enseignant qui peut changer des vies. Cela crée une pression importante pouvant aller jusqu’à un réel mal-être professionnel.
Les enseignants se retrouvent contraints de faire des choix d’élèves à privilégier, quand la répartition équitable du temps entre chacun n’est pas envisageable. Ces étiquettes vont avec ces prescriptions qu’elles induisent et amènent ceux qui n’en ont pas à être laissés de côté en les privant de l’attention qu’ils méritent.
C’est la conclusion de notre ouvrage autour de l’excellence en éducation prioritaire, avec le risque décrit par les professionnels de faire des élèves excellents (non étiquetés donc) les oubliés des enseignants et de l’enseignement.
Gouvernance par les nombres
Aujourd’hui, c’est toujours le test du WISC (test de Wechsler adapté aux enfants, cinquième version depuis 2016) qui est la référence pour mesurer l’intelligence des élèves dans le contexte scolaire. On retrouve ici le débat récurrent autour de la pertinence des tests comparatifs, comme il y en a pour les enquêtes PISA (Programme international pour le suivi des acquis).
En effet, le fait qu’il existe un nombre d’élèves avec un score élevé à ce test qui sont en échec scolaire et d’autres élèves excellents avec un score dans la norme est une information importante. On ne prend donc pas beaucoup de risques en affirmant que le test du WISC n’est pas infaillible.
Attention, le propos ici n’est pas de nier l’existence et surtout la nécessité d’une prise en compte et d’une adaptation spécifique des pratiques pédagogiques au profil particulier des hauts potentiels, ni même de diaboliser le test. Le Wisc est nécessaire pour repérer les EIP car il permet de détecter ceux en échec scolaire qui ont un haut potentiel. Mais il ne l’est pas dans le cadre de l’excellence parce qu’il ne l’identifie pas.
On arrive ici à l’idée, défendue par Alain Supiot dans son ouvrage sur la gouvernance par les nombres, du danger d’une surestimation du rôle et du statut de ces nombres. Si la société et, par là même, les enseignants, donnent trop de valeurs au résultat de ce test, ils risquent de se focaliser prioritairement voire exclusivement sur les EIP, au détriment des autres, dont ceux excellents qui seraient identifiés comme non-EIP. Ces derniers, s’ils ne sont pas précoces, risquent de souffrir d’un manque de prise en charge, pourtant indispensable pour permettre à leur potentialité de s’exprimer.
FIGAROVOX/TRIBUNE – Jean-Michel Blanquer a annoncé le 28 juin la suppression des épreuves communes du contrôle continu dans la nouvelle formule du baccalauréat. Pour Jean-Philippe Delsol, cette mesure ne fait qu’acter la disparition d’un examen caduc et montre l’importance de libéraliser l’enseignement.
Par Jean-Philippe Delsol. Publié
Jean-Philippe Delsol est avocat et président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales (think-tank libéral). Il a notamment publié Éloge de l’inégalité(Manitoba, 2019).
Le baccalauréat n’en finit plus d’être réformé ou bricolé. Déjà Jean-Michel Blanquer annonce une consolidation du contrôle continu qui risque d’abaisser encore le niveau de cet examen et de le rendre discriminant pour les élèves issus des lycées les meilleurs et les plus exigeants. Le baccalauréat, accordé à 95 % des candidats l’an dernier, est en réalité sous l’emprise d’un égalitarisme forcené annoncé depuis la mise en place du collège unique suivie plus tard de l’idée du bac pour tous. Il ne s’agit plus que d’un diplôme fait pour attester la fin du secondaire plutôt que pour justifier d’un niveau d’étude naufragé.
Il s’ensuit que de nombreux jeunes gens s’engouffrent dans des cycles universitaires qui ne sont pas faits pour eux. Ils y perdent leur temps et s’y aigrissent de leurs déboires. Comme toutefois les universités publiques se croient elles-mêmes obligées à une certaine bienveillance dans leur sélection de fin d’année, leur niveau d’étude se dégrade à son tour. À la fin, et sauf exception, ce sont des classes d’âge entières qui souffrent d’un enseignement affaibli.Et c’est d’ailleurs aussi ce qui conduit à former des enseignants moins armés intellectuellement pour affronter des élèves plus difficiles, au détriment des uns et des autres.
Les exemples étrangers démontrent que les enfants sont les gagnants de la liberté scolaire parce que les écoles, en compétition, et leurs enseignants y sont plus motivés.
Jean-Philippe Delsol
La généralisation d’examens d’entrée dans les universités pourrait être une solution. Mais elle ne serait qu’un palliatif. Pour relever la qualité de l’enseignement, une réponse de fond consisterait à établir la liberté scolaire à l’encontre de la centralisation napoléonienne qui pèse encore sur l’école et l’université françaises.
Diversifier l’école
L’instruction publique, qui n’a plus la rigueur des hussards noirs de la République, a désormais démontré son incapacité à délivrer les bases du savoir à tous et à promouvoir les élèves les plus prometteurs. Paradoxalement, l’école devient plus inégalitaire que jamais en se soumettant à un nivellement par le bas dont ne réussissent à s’extraire que ceux qui trouvent à la maison ce que l’école ne leur offre plus. Une plus grande liberté de créer et gérer des établissements scolaires, sous le contrôle de l’État chargé d’y éviter les dérives, permettrait d’offrir des formations diversifiées et adaptées aux talents et capacités de chacun.
«La généralisation d’examens d’entrée dans les universités pourrait être une solution» AFP
D’ailleurs, l’État n’a ni obligation ni même vocation naturelle à construire des écoles et embaucher des enseignants, mais seulement à s’assurer que tous les enfants reçoivent une instruction correcte et à favoriser leur éducation. Pour que tous les enfants soient scolarisés dans l’école du choix de leurs parents, l’État pourrait les prendre en charge en remettant aux familles un bon ou chèque scolaire valant paiement de la scolarité (comme en Suède par exemple) ou par un subventionnement objectif des écoles indépendantes (comme avec les Free schools ou les académies en Angleterre, ou les Charter schools aux USA, ou encore comme aux Pays-Bas). Les exemples étrangers démontrent que les enfants sont les gagnants de la liberté scolaire parce que les écoles, en compétition, et leurs enseignants y sont plus motivés.
Des universités privées
De même le monopole de la collation des grades sclérose l’université publique dans un modèle qui forme à l’échec: 56 % de recalés en première année de licence (2018), 30 % seulement des étudiants décrochent leur licence en trois ans… Bien entendu, ces résultats désastreux sont dus pour partie au niveau des élèves qui arrivent à l’université, mais aussi à la centralisation que celle-ci subit, au statut de fonctionnaire des enseignants, à l’insuffisance de compétition. Il ressort d’une étude menée par l’IREF que les pays ayant les meilleures universités, excepté l’Allemagne où l’apprentissage prend le pas sur l’enseignement supérieur, sont ceux où la part du privé dans les dépenses consacrées à l’enseignement supérieur est la plus importante. Et plus la part des universités privées est élevée dans l’enseignement supérieur du pays, plus le taux de diplômés l’est aussi.
La puissance des États-Unis est sans doute due en partie à leur système universitaire malgré leurs écoles primaires et secondaires probablement aussi médiocres que les nôtres.
Jean-Philippe Delsol
Certes, des universités privées sont aussi payantes. Il n’est pas injuste de demander de supporter le coût de ses études à l’étudiant, majeur, qui grâce à elles va pouvoir gagner plus que celui qui sera rentré tout de suite dans le monde du travail. Ça n’écarte pas pour autant les plus démunis que, par exemple, les universités américaines accueillent en grand nombre en leur offrant des bourses, des emplois étudiants, des emprunts, des partenariats avec des entreprises… C’est un moyen de responsabiliser les étudiants et les inciter à réussir. La puissance des États-Unis est sans doute due en partie à leur système universitaire malgré leurs écoles primaires et secondaires probablement aussi médiocres que les nôtres.
Le pluralisme scolaire et universitaire cultive les différences dont les élèves s’enrichissent, et l’autonomie des établissements d’enseignement est propice à l’apprentissage de l’autonomie des élèves nécessaire à chacun d’eux. Il faut instruire les élèves, mais peut-être plus encore leur permettre, selon le mot de Pindare, de devenir ce qu’ils sont, s’ouvrir à une culture d’interrogation sur la profondeur de leur ignorance, gérer l’incertitude et le questionnement permanent de l’existence, accepter des réponses possibles là où nous aimerions tant des réponses certaines. À ce titre, la liberté scolaire est souhaitable presque de manière anthropologique pour éduquer à la responsabilité de soi-même, préalable à une meilleure intelligence du savoir. Ce serait aussi le moyen de transformer progressivement l’Éducation nationale qui n’est sans doute plus à même de guérir d’elle-même de ses maux idéologiques, syndicaux et statutaires, mais en reviendrait peut-être sous la pression de la compétition. Plus qu’une question d’enseignement, c’est sans doute une question de civilisation.
Évoquez l’apprentissage de la lecture et aussitôt reviennent au premier plan les débats sur les manuels et les méthodes, globale et syllabique. Mais n’est-ce pas un angle un peu réducteur pour embrasser les multiples questions qui se posent sur les manières d’appréhender l’écrit ?
Avant même l’entrée au CP et le travail de B.A-BA, les enfants apprivoisent les liens entre signes et sens à travers tout un ensemble d’activités, sur lesquelles la recherche s’arrête de plus en plus.
Anita Collins et Misty Adoniou (University of Canberra) nous expliquent ainsi pourquoi les jeux de mots et comptines, loin d’être de simples divertissements, sont si présents en maternelle, tandis que Caroline Creusot-Tuphile (Université de Bordeaux) explore le dialogue qui se noue entre adultes et enfants autour des albums jeunesse. Des interactions essentielles pour poser les bases d’une bonne compréhension que les enfants peuvent affiner ensuite en se mettant dans la peau du conteur, selon les travaux de Sylvie Cèbe (Université Clermont-Auvergne).
À l’heure où les textes circulent de plus en plus en version numérique, les spécialistes de la psychologie cognitive nous invitent à ne pas négliger les aspects matériels de la lecture, du cadre où l’on se trouve au support que l’on utilise, car cela interfère avec la perception et le souvenir qu’on aura du récit, explique Ugo Ballenghein (UPEC). D’ailleurs, l’écriture manuscrite n’est pas seulement une habitude culturelle, mais aussi un tremplin vers l’apprentissage de la lecture.
Cet apprentissage se poursuit tout au long de la scolarité, l’élève s’initiant à l’analyse de textes toujours plus complexes et à l’art d’argumenter. Dans un contexte où prolifèrent les images et les informations, il faudra donc cultiver l’esprit critique, tout en assimilant les codes de la lecture sur écran, comme l’expose Divina Frau-Meigs (Université Sorbonne-Nouvelle), pour mieux jongler entre papier et ordinateur, selon les conseils de Naomi S. Baron (American University).
En quoi notre corps est-il impliqué dans cette activité si intellectuelle qu’est la lecture ? Quel rôle les émotions jouent-elles ? Ces questions ouvrent des pistes pour l’apprentissage de la lecture.
Pour apprendre à parler, les enfants doivent être capables de distinguer les mots au sein d’un environnement sonore varié, et la découverte précoce de la musique les accompagne dans cet effort.
Dans les albums de jeunesse, beaucoup d’histoires s’appuient sur des allusions que les enfants ne comprennent pas toujours au premier abord. cottonbro/Pexels, CC BY
Reformuler les phrases, expliquer le lexique, questionner l’enfant… Pendant la lecture d’un album, ces réflexes n’ont rien d’anodin et permettent d’éclaircir la part implicite d’une histoire.
L’écriture manuscrite n’est pas une simple habitude culturelle, c’est aussi un outil clé d’apprentissage de la lecture. Shutterstock
Si les supports numériques comme les tablettes offrent des outils interactifs intéressants pour découvrir la lecture, le geste d’écriture reste essentiel pour la mémorisation des mots. Interview de Denis Alamargot, professeur des Universités en psychologie cognitive et développementale.
Les bénéfices de l’imprimé sont tout particulièrement évidents pour les tâches complexes. Shutterstock
Avec la généralisation des cours à distance pendant la pandémie, les lectures recommandées sur papier ont souvent laissé place à des documents multimédias. Mais est-ce aussi efficace pour la mémoire ?
Compréhension, mémorisation, expression sont autant de compétences que l’enfant travaille en racontant une histoire. Shutterstock
Avant même d’apprendre à lire, on peut apprendre à raconter une histoire. C’est le credo de Narramus, un manuel conçu par des chercheurs en collaboration avec des enseignant·e·s de maternelle.
« Dyslexique », « précoce », « troubles de l’attention » : nous avons tous déjà entendu au moins un de ces termes, le plus souvent pour qualifier un enfant rencontrant des difficultés dans le cadre scolaire.
Ces « diagnostics scolaires » sont décrits, explorés et soutenus par des chercheurs et praticiens de différentes disciplines (psychologie, neuropsychologie, psychiatrie, etc.) et bénéficient d’une variété de prises en charge à visée rééducative (psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, etc.).
Au sein même du champ scientifique, ces diagnostics ne font pas consensus : l’approche principalement neurologique du TDAH (trouble du déficit de l’attention/Hyperactivité) y est critiquée, les effets et les limites des diagnostics de troubles dys- et de HPI (haut potentiel intellectuel) y sont interrogés.
Les troubles dys – ainsi que le TDAH sont considérés comme étant des troubles du neurodéveloppement, et font l’objet de recommandations par la Haute Autorité de Santé. Les politiques publiques insistent sur la nécessité d’un repérage précoce, puis de la mise en place de remédiations et rééducations pour ce type de troubles.
Un quadrillage de dispositifs
Malgré l’absence de consensus scientifique, le haut potentiel ainsi que les troubles dys – figurent dans le Code de l’éducation, ouvrant le droit à des aménagements des contenus et du rythme d’enseignement, ainsi qu’à des adaptations des examens terminaux pour les élèves diagnostiqués.
Ainsi, si ces troubles ne donnent pas systématiquement lieu à la reconnaissance d’un handicap, différentes formes de projets individualisés sont tout de même proposés dans le cadre scolaire. Ces différents dispositifs révèlent l’impact réel qu’ont ces diagnostics – qui concernent environ 5 % de la population d’âge scolaire – sur le parcours des élèves concernés.
Cette médicalisation des difficultés scolaires est paradoxale : en effet, tendre vers la réussite de tous les élèves passerait par un étiquetage de plus en plus exhaustif des difficultés rencontrées par chacun.
On peut difficilement critiquer un discours visant à aider les enfants en difficulté au nom de plus d’égalité, avec pour objectif de soutenir leur accroche à l’école et aux apprentissages. Cependant, il existe bien un paradoxe fort entre la volonté de faire réussir chaque élève et, en même temps, le découpage de plus en plus fin des catégories que l’on va attribuer à ces élèves.
Ce découpage va de pair avec un quadrillage de dispositifs de plus en plus serré : repérages précoces, prises en charge, adaptations pédagogiques allant jusqu’à l’adaptation des examens terminaux. Ces catégories ne sont donc pas sans effet sur ces élèves et les adultes qui les accompagnent.
Un dépistage accru
Quarante-sept acteurs de l’éducation et du soin nous ont répondu sur la définition qu’ils en donnent, et leur manière de faire avec, dans leur exercice quotidien.
Cet échantillon comprend des enseignants en milieu ordinaire ou spécialisé, des inspecteurs de l’éducation nationale, des médecins et des psychologues scolaires, ainsi que diverses professions impliquées auprès des enfants et adolescents en difficulté scolaire – AESH, éducateurs, infirmiers.
Ces personnes exercent dans différents établissements (école élémentaire, collège, centre d’information et d’orientation, hôpital de jour) qui se répartissent entre secteurs rural, semi-urbain et urbain, ainsi qu’entre réseau d’éducation prioritaire (REP) et milieu plus favorisé.
L’analyse qualitative de ces discours permet de révéler les représentations qui traversent le monde social : explorons ce que cette catégorisation produit comme effets, dans le réel des pratiques. Tous les acteurs s’accordent sur la forte augmentation de ces troubles comme explication aux difficultés scolaires, depuis une vingtaine d’années, accompagnée d’un dépistage accru et de plus en plus précoce.
Une enseignante souligne que « dès qu’il y a une difficulté on cherche un trouble », résumant l’idée aujourd’hui dominante qu’une certaine part des enfants relève de troubles (diagnostiqués ou non) depuis le début des années 2000.
Dépossession pédagogique ?
Nos entretiens ont mis en lumière des manières très disparates de repérer ces « troubles » dans les classes, avec par exemple une forme de « diagnostic autonome » de la part de certains enseignants, sans consultation médicale, et parfois même sans bilan orthophonique.
Une psychologue tente d’expliquer cette tendance :
« Ça passe rapidement dans le langage courant, et quand par exemple un élève va juste inverser deux lettres […] les enseignants, ou les parents vont avoir tendance à dire : c’est peut-être une dyslexie. »
Selon un inspecteur de l’éducation nationale, une part conséquente d’enfants sont envisagés comme étant porteurs de troubles dys – au sein de l’école, sans même avoir rencontré de médecin pour objectiver ce diagnostic.
Cette tendance à la désignation spontanée d’un enfant comme dyslexique, ou encore hyperactif va de pair avec un effet de dépossession pédagogique : la majorité des enseignants ont le sentiment de manquer de formation face à ces troubles spécifiques.
Ils cherchent pour la plupart à se former de manière autonome, et fabriquent ou financent eux-mêmes du matériel adapté aux enfants qu’ils accueillent dans leur classe. Ces constatations pourraient rester anecdotiques si ces troubles n’étaient pas décrits – par la littérature scientifique – comme « durables », notion que s’approprie une principale de collège REP : « C’est pas curable, la dyslexie, c’est vraiment un cheminement neurologique qui est différent », partageant avec la majorité des enquêtés l’idée que tant que l’enfant sera en apprentissage, il nécessitera compensations et rééducations.
Une individualisation des parcours ?
Sans prétendre résumer les multiples questions soulevées par ces « troubles des apprentissages », nos résultats interrogent l’intérêt que peuvent avoir les politiques publiques à systématiser le repérage de ces troubles au sein de l’école, et proposer une variété d’aménagements et d’orientations en regard.
Ce repérage précoce massifié peut en effet être mis en regard du caractère exceptionnel du redoublement depuis 2014, mais aussi des effectifs élevés dans chaque classe dès l’école élémentaire.
Les acteurs soulignent que l’individualisation pédagogique est ainsi rendue très difficile, alors même qu’elle est – avant toute mise en place d’un quelconque dispositif d’adaptation – la base du métier d’enseignant.
Le fait de reconnaître un enfant comme porteur de tel ou tel trouble produit déjà un effet, connu sous le nom d’étiquetage, selon la célèbre théorie de Becker, qui met en garde contre de potentiels effets de mise en conformité avec l’étiquette apposée.
L’enfant désigné dysgraphique ou hyperactif pourrait bien avoir du mal à se dégager de cette désignation, puisqu’il bénéficiera de prises en charge spécifiques, d’interactions pédagogiques et d’adaptation des enseignements qui marqueront incessamment l’existence de son « trouble », y compris au sein de l’école et de sa famille.
Il ne s’agit donc pas uniquement de controverses scientifiques ou éducatives, mais bien d’un phénomène de catégorisation ayant des implications et des effets dans la scolarité des enfants et des adolescents d’aujourd’hui.
La multiplication des diagnostics de plus en plus précoces conditionne l’accès aux savoirs des jeunes concernés, dans le contexte d’une école permettant de moins en moins l’individualisation spontanée du rythme d’apprentissage.
Un enfant qui bouge de façon excessive, ne parvient pas à attendre son tour, se montre impulsif ou est régulièrement « dans la lune » est souvent étiqueté comme « mal élevé ». Pourtant, l’origine de ces comportements peut être tout autre : il arrive qu’ils cachent en réalité un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Loin d’être le fruit de notre société moderne, ce trouble a été décrit scientifiquement dès la fin du XVIIIᵉ siècle. Il est caractérisé par des symptômes d’agitation motrice, une impulsivité et des difficultés à maintenir son attention sur des périodes plus ou moins longues ou répétitives.
Poser un diagnostic adéquat sur ce trouble neurodéveloppemental permet non seulement aux parents de mieux en comprendre les symptômes, mais aussi de prendre du recul : ils peuvent ainsi déculpabiliser. C’est aussi un soulagement pour l’enfant, qui veut bien faire sans pour autant y parvenir, car cela permet de mettre un nom sur la difficulté qu’il rencontre régulièrement.
Comment se manifeste le TDAH ?
Le TDAH affecte approximativement 5 % des enfants d’âge scolaire et 4 % des adultes. Il ne peut être diagnostiqué avant l’âge de 6 ou 7 ans, bien que des symptômes puissent être observés avant cet âge. Le TDAH peut se manifester de différentes façons. On distingue les présentations inattentives prédominantes et les formes hyperactives impulsives prédominantes. Le plus souvent, c’est une forme mixte, associant à la fois des symptômes d’inattention et d’hyperactivité-impulsivité, qui est observée.
La symptomatologie du TDAH est variable selon le genre et l’âge. Les filles avec TDAH présentent souvent davantage de symptômes d’inattention et moins d’agitation motrice que les garçons. Les symptômes d’hyperactivité-impulsivité diminuent régulièrement au fur et à mesure que l’enfant grandit. En revanche, les symptômes d’inattention tendent à persister. Il n’est pas rare que lorsqu’un enfant présente un TDAH, un des deux parents en présente un lui aussi, qui le plus souvent n’a pas été diagnostiqué dans l’enfance.
Pour que l’on considère qu’un enfant est atteint de ce trouble, les symptômes doivent être observés avant l’âge de 12 ans, depuis au moins 6 mois et se manifester dans différentes situations, avec pour conséquence potentielle d’entraver son fonctionnement scolaire, social ou familial.
Un diagnostic délicat
Face à un enfant qui apparaît débordant d’énergie ou qui est régulièrement dans la lune, il convient d’être prudent avant d’affirmer un quelconque diagnostic, lequel doit être réalisé par une équipe pluridisciplinaire.
Différents entretiens vont permettre au médecin (pédopsychiatre ou neuropédiatre par exemple) d’évaluer la présence et l’intensité des différents symptômes. Il va ensuite rechercher la présence de facteurs médicaux qui pourraient être responsables des symptômes, tels qu’une carence en fer ou une hypothyroïdie. Les parents et l’enseignant de l’enfant seront régulièrement conviés à remplir des questionnaires permettant de quantifier la présence des symptômes à la maison et à l’école.
Le TDAH est souvent associé à l’existence de difficultés scolaires ou motrices. C’est pourquoi au cours du processus diagnostique, le médecin peut proposer la réalisation d’évaluations neuropsychologique, logopédique (orthophonique) ou psychomotrice. À travers la passation de différentes épreuves, l’évaluation neuropsychologique permettra d’investiguer les compétences attentionnelles, exécutives, mnésiques et intellectuelles de l’enfant. Le profil cognitif ainsi établi, incluant les forces et les faiblesses de l’enfant, pourra permettre de dégager des pistes de prise en charge.
Par exemple, si l’enfant présente d’importantes difficultés au niveau des apprentissages verbaux ou a du mal à retenir les consignes, l’utilisation d’un support visuel tel qu’un schéma heuristique (« mind map ») ou des pictogrammes peut être bénéfique. Il est aussi possible d’apprendre à un enfant à construire lui-même le support visuel à partir duquel il effectuera ses apprentissages. Un élément crucial de la prise en charge est d’encourager l’enfant dans chaque réussite.
Les enfants avec un TDAH présentent régulièrement des difficultés spécifiques en lecture, en orthographe ou en mathématique qu’il convient de caractériser grâce à une évaluation logopédique. Des outils standardisés permettent de situer l’enfant dans son développement langagier (compréhension et expression orale) et ses apprentissages. Si les problèmes sont importants, un suivi logopédique peut être préconisé. Enfin, des difficultés au niveau de la motricité fine (graphisme) ou globale peuvent également être observées chez les enfants présentant un TDAH. Celles-ci sont mises en évidence en psychomotricité.
Bien que le TDAH s’observe rarement de façon isolée, tous les enfants ne présentent pas l’ensemble des difficultés associées : le profil de forces et de faiblesses de chacun est unique, ce qui a des implications sur la prise en charge.
Comment aider son enfant ?
Les difficultés associées au TDAH varient d’un enfant à l’autre, la prise en charge doit donc être spécifique. Selon la nature des symptômes, leur intensité, leurs répercussions, l’enfant devra bénéficier d’aides sur le plan logopédique ou encore en psychomotricité. Le médecin pourra aussi proposer la mise en place d’un traitement médical, tel qu’un psychostimulant (comme par exemple le méthylphénidate, un stimulant modéré du cerveau). Celui-ci va agir au niveau cérébral sur la transmission de différents neurotransmetteurs, telle que la dopamine. Un dosage adéquat permet d’accroître les ressources attentionnelles et réduire l’agitation motrice et l’impulsivité.
Un tel traitement médical a cependant une durée d’action limitée et ne doit pas être considéré comme une solution en soi. En effet, une fois stoppés, les symptômes peuvent à nouveau être observés. En outre, ledit traitement doit être conçu comme un outil thérapeutique s’insérant dans une prise en charge plus globale : pour certains enfants, il peut ne pas être adapté (ou s’avérer être en contradiction avec des valeurs familiales qu’il convient de respecter par exemple).
Un aspect crucial est à souligner : le TDAH peut engendrer une souffrance importante chez l’enfant et ses parents. Une aide sur le plan psychologique, individuelle ou familiale, ne doit pas être négligée. Les symptômes de TDAH peuvent être une source majeure de tension au sein de la famille, et les parents ont parfois besoin d’aide pour développer de nouvelles stratégies pour faire face aux symptômes d’agitation et d’impulsivité de leur enfant. Un suivi en psychoéducation peut dès lors être préconisé.
Et l’école dans tout cela ?
L’école est très souvent en demande d’aide face à un enfant qui présente un TDAH. Les enseignants éprouvent régulièrement des difficultés pour gérer une classe dans laquelle se trouve un enfant (voire parfois deux) présentant un TDAH. La médication peut permettre de réduire l’impact des symptômes à l’école, cependant elle peut ne pas être suffisante ou adaptée.
À nouveau, il n’existe pas de solution unique qui puisse convenir à chaque situation. Cependant, il est possible de formuler certaines recommandations. Il est avant tout crucial de maintenir une communication régulière, constructive et respectueuse entre l’enfant, les parents et l’enseignant. Il est important aussi de démystifier le trouble et ses conséquences.
Pour les symptômes d’agitation motrice, plusieurs aménagements scolaires peuvent être envisagés, tels que le fait de remplacer la chaise par un ballon ou prévoir un moment et un lieu dans lequel l’enfant pourra décharger son énergie. Il ne faut surtout pas priver l’enfant des moments de récréation qui lui permettent de se dépenser.
Concernant les difficultés attentionnelles, il est souvent préférable de réduire la quantité de travail et de viser la qualité. Lorsque des consignes sont données à l’enfant, celles-ci doivent formulées de façon claire et précise. Il est aussi possible d’aller chercher le regard de l’enfant pour s’assurer que l’on a bien capté son attention et, le cas échéant, lui demander de reformuler ou réexpliquer.
Il n’est pas toujours simple pour l’enseignant de gérer une classe comportant un ou plusieurs enfants hyperactifs. NeONBRAND / Unsplash
De façon surprenante, pour certains enfants, le fait de réaliser une autre tâche, par exemple dessiner, en même temps qu’ils écoutent les consignes permet d’améliorer leur niveau d’attention. Une présentation visuelle des consignes (par exemple sous forme de pictogrammes est souvent très bénéfique.
Plus généralement, il convient de favoriser la gestion du groupe classe en formulant des règles claires et précises dans un climat de bienveillance. Féliciter l’enfant à chaque comportement adapté, par exemple lorsqu’il lève le doigt pour demander la parole ou lorsqu’il réalise son travail de façon adaptée, l’encouragera à poursuivre ses efforts et à développer une image plus positive de lui.
Les différentes stratégies proposées ici ne doivent bien entendu pas être perçues comme un favoritisme. Elles peuvent être appliquées à l’ensemble du groupe classe et s’adapter à chaque enfant, en fonction de ses forces et faiblesses.
En définitive, le TDAH ne doit pas être conçu comme une fatalité, comme une entrave à un futur épanouissement personnel ou professionnel. De nombreuses personnalités connues et moins connues présentent également un TDAH. C’est par exemple le cas d’Emma Watson, qui interprète Hermione Granger dans la saga Harry Potter, ou encore de l’inimitable Jim Carrey. Chaque être humain dispose de capacités qui lui permettent d’accomplir de grandes choses. L’objectif est d’aider l’enfant à lui faire découvrir son propre potentiel, afin qu’il puisse devenir un adulte responsable, confiant et épanoui.
Remerciements : ce travail a été réalisé grâce au soutien de la bourse de la Belgian Kids’ Fund (« Bourse en mémoire du Professeur André Kahn ») accordée à M. Jean‑François Wylock.
Depuis 2011, le harcèlement scolaire est devenu un sujet de préoccupation politique et social majeur. Et pour cause, un enfant sur dix environ est victime de ce fléau. Pour combattre ce phénomène, les institutions utilisent deux types de stratégies.
La première consiste à mener une action de prévention afin de sensibiliser les élèves aux conséquences de ce type de comportement (décrochage scolaire, phobie scolaire, troubles psychosomatiques, dépression, suicide). Selon une méta-analyse, cette approche ferait diminuer les actes de harcèlement de 20 %.
Pour faire face aux 80 % restants, les institutions ont choisi comme seconde approche la stratégie interventionniste. Notre propos est de montrer que l’intervention d’un tiers dans la relation de harcèlement pour la faire cesser, bien que logique de prime abord, peut se montrer contre-productive lorsqu’on adopte un regard systémique.
La sanction du harceleur reste la plus pratiquée dans la plupart des pays même si l’on sait qu’elle ne génère qu’une adhésion de surface et que le harcèlement se poursuit sous des formes plus difficilement détectables.
La méthode Pikas ou méthode des préoccupations partagées cherche à mobiliser l’empathie du ou des auteurs de harcèlement afin de les amener à changer de comportement.
Dans la même lignée, les pratiques réparatrices cherchent à réparer le mal qui a été fait et à résoudre le conflit en encourageant le ou les harceleurs à reconnaître les conséquences de leurs actions sur la ou les victimes.
Enfin, la mobilisation d’un groupe d’élèves de soutien, constitué à l’initiative d’un adulte, pour venir en aide à la victime sous différentes formes (aide aux devoirs, présence à ses côtés pendant la récréation…).
Plusieurs constats nous amènent à relativiser l’intérêt d’avoir recours à ces méthodes. Le premier tient au fait qu’en intervenant dans la situation de harcèlement – ce qui est tout à fait compréhensible – on envoie le signal au harceleur et à sa victime que cette dernière n’est pas capable de se défendre seule et donc l’agresseur peut continuer sans risque.
Même si le harcèlement s’arrête après l’intervention d’un tiers, la victime n’aura pas réalisé qu’elle est capable de mobiliser elle-même des ressources internes pour faire face à l’agression. Lorsqu’une nouvelle situation de ce type se présentera, elle sera tout autant démunie que la fois précédente. C’est ce qui explique en partie le fait que les enfants harcelés qui changent d’établissement scolaire, se font souvent harceler à nouveau.
Lutte contre le harcèlement scolaire : la méthode Pikas (RFI, « 7 milliards de voisins », 2018).
Il est important de comprendre qu’il n’y a pas de profil de harcelé contrairement aux harceleurs. L’ensemble des enfants sont « testés » sur le plan relationnel quand ils arrivent à l’école, et ceux qui présentent une vulnérabilité à ce moment-là ont plus de chance d’être harcelés. Les comportements de harcèlement sont des comportements d’opportunités.
Profils manipulateurs
Le second constat se situe du côté des harceleurs, la recherche distinguant deux profils. Nous avons, d’une part, le « harceleur réactif » qui présente des déficits sur le plan des compétences sociales, ce qui l’amène à attribuer des intentions hostiles de la part de ses pairs et à y réagir avec une agressivité excessive. À l’opposé, nous retrouvons le « harceleur stratégique » qui possède des compétences sociocognitives élevées qu’il utilise à des fins de manipulation et de domination d’autrui.
Certains chercheurs soutiennent la thèse que le harcèlement a pour objectif d’acquérir une position sociale dominante dans le groupe de pairs. Qualifié également de « populaire », ce type de profil n’a aucun intérêt à cesser son comportement puisqu’il est à l’origine de sa popularité. Cela est corroboré par une étude qui met en évidence que les harceleurs stratégiques sont plus difficilement réceptifs aux interventions.
Enfin, au-delà du statut social acquis grâce au harcèlement, la faible réceptivité à ce type d’approche – notamment celles qui préconisent de mobiliser l’empathie du harceleur à l’instar de la méthode Pikas – peut également s’expliquer par le fait que les auteurs (réactifs ou stratégiques) de ce type de comportements présentent des carences en empathie affective (la capacité à expérimenter l’émotion d’une autre personne) et font preuve d’une forme de désengagement moral qui leur permet de reléguer au second plan leurs principes au profit d’autres impératifs.
L’ensemble de ces faits nous amène à privilégier une autre approche qui consiste à travailler avec l’élève victime de harcèlement afin qu’il développe les ressources qui lui permettront mettre fin lui-même à la situation d’agression.
Cette approche permet d’éviter les conséquences négatives d’une confrontation avec le harceleur, elle permet également de développer la confiance en soi de la victime et surtout, elle a potentiellement une plus grande chance de réussite car la personne harcelée est souvent l’acteur le plus motivé pour changer dans le système.
« Expérience émotionnelle correctrice »
Pour ce travail avec l’élève victime, nous mobilisons les outils de la systémie brève et stratégique élaborés par l’École de Palo Alto. Cette approche nous amène à considérer la situation de harcèlement comme une pathologie interactionnelle qui s’incarne dans un cercle vicieux relationnel dans lequel chaque acteur joue un rôle pour entretenir le statu quo.
Cela peut paraître paradoxal, voire injuste, de considérer que la victime a une part de responsabilité dans la situation. Pour autant, ce que fait la victime pour essayer de résoudre son problème ne fait que l’alimenter, « le problème c’est la solution » pour reprendre les termes de Paul Watzlawick, grande figure de l’École de Palo Alto. C’est-à-dire que lorsque la victime essaie de se faire oublier de son harceleur (en rasant les murs, en baissant la tête, en se cachant…), elle lui envoie implicitement un message qu’il peut venir l’agresser parce qu’il ne risque rien.
Comment lutter contre le harcèlement scolaire (Décod’Actu, Lumni, 2017).
Cette approche systémique préconise d’identifier tout ce que met en place l’élève harcelé pour faire cesser la situation. Cette liste nous permet ensuite d’en trouver le thème général, à savoir quel est le message commun à toutes ses tentatives de solution. Dans le cas du harcèlement, il s’agit souvent de : « Arrête mais si tu continues, il n’y aura pas de conséquences de ma part pour toi ». À partir de là, il s’agit d’identifier le thème exactement opposé, à 180 degrés, qui pourrait être dans le cas qui nous préoccupe : « Continue et contemple les conséquences négatives de ma part ».
Ce thème à 180 degrés nous permet de créer une tâche, une action concrète, que l’élève harcelé mettra en œuvre lorsqu’il se retrouvera confronter à son harceleur. Cette tâche est coconstruite avec l’enfant ou l’adolescent et tient compte du contexte ainsi que des ressources propres de ce dernier.
La mise en œuvre de ce comportement concret fera vivre à l’enfant ou l’adolescent une expérience émotionnelle correctrice c’est-à-dire une expérience dont l’émotion et les sensations viendront changer sa perception de la réalité (« je peux me défendre seul ») et donc sa réaction. Les fondateurs de l’École de Palo Alto considèrent que cette expérience constitue le seul levier dont la nature humaine dispose pour construire et déconstruire une représentation.
Raphaël Hoch, Enseignant Chercheur Associé – Responsable Pédagogique DU Management et Transformation des Organisations de l’IAE de Metz, Université de Lorraine